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ne permirent pas qu’on se réfugiât longtemps dans de semblables équivoques. L’opinion appelait hautement les milices romaines au combat, les ministres de Pie IX pensaient de même; Mgr Antonelli, animé pour lors d’une belle ardeur, ne rêvait que croisade et guerre sainte. C’est en ce moment que tous les motifs d’hésitation qui faisaient violence au bon vouloir de Pie IX se renforcèrent, si l’on en croit le témoignage de Balbo, d’une menace de schisme faite solennellement à Rome par le clergé autrichien. Le pape n’hésita plus. Dans un consistoire tenu le 29 avril, il répudia toute solidarité avec ceux qui combattaient les Allemands, ses fils, dans la Haute-Italie, et déserta ouvertement la cause de l’indépendance. « Ces résistances, remarque à ce sujet Balbo, ces scrupules, ces craintes, excités trop naturellement par le parti autrichien ou rétrograde, trop follement par les libéraux[1], éclatèrent enfin dans l’allocution consistoriale du 29 avril, par laquelle Pie IX repoussait toute participation à la guerre, et surtout la présidence de hi) gue ou confédération, qu’il appelait une sorte de nouvelle république de tous les peuples de l’Italie. De ce jour, la cause italienne perdit sa force principale; le parti modéré, qui s’appuyait sur le concours des princes, et surtout de celui-là, perdit son meilleur moyen d’action. »

Ainsi se dérobaient les frêles fondations sur lesquelles des hommes de trop de foi avaient fait reposer tout l’avenir de leur pays. «Pauvre pape! s’écrie Balbo en apprenant cette nouvelle; je suis grand papalino à l’ordinaire, mais non pas cette fois.» Pauvre pape en effet, et pauvre Italie! pouvait-on répondre. Pendant ce temps, le Piémont se battait. Ce petit peuple et ce petit roi avaient entamé la lutte; ils la soutenaient bravement, et à eux seuls tenaient tête à un empire de trente-six millions d’hommes, appuyé sur l’alliance européenne de 1815. La gravité des événemens de Rome fut à peine aperçue tant que durèrent les succès de l’armée piémontaise; ceux qui comprenaient l’importance de la nouvelle attitude du pape n’en suivaient qu’avec plus d’anxiété les vicissitudes de la guerre, espérant que quelques victoires pourraient réunir autour de Charles-Albert toutes les forces diverses que la défection de Rome avait dispersées. Les Piémontais sentaient d’instinct que la guerre était le moyen suprême de salut; ils s’y jetaient à corps perdu, sans se préoccuper de la conduite que pouvait tenir le pape. César Balbo lui-même avait demandé un commandement dans l’armée, et ne l’avait pas obtenu. Le 20 avril, écrivant au comte de Castagneto, secrétaire du roi pendant la campagne, il s’écriait, après avoir déploré la ré-

  1. C’est-à-dire les républicains, intéressés à compromettre le pape avec l’Autriche, afin de se débarrasser du même coup de ces deux ennemis.