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ironique, spirituel et tendre, un poète condensant dans une expression étincelante le feu le plus subtil et le plus intense de la passion, et unissant à la fraîcheur toujours survivante de la jeunesse une ardeur plus sérieuse et plus virile. Une des premières qualités d’Alfred de Musset, c’est la spontanéité, c’est une souplesse colorée et nerveuse qui laisse apercevoir tout le mouvement de la pensée. Chez d’autres poètes d’un vol en apparence plus large, et dont il fut le contemporain, l’émule de génie et de gloire, on distingue en quelque sorte la limite entre le sentiment vrai, réellement éprouvé, et ce qui n’est plus qu’un développement poétique. Il y a un point où ce n’est plus le cœur, c’est l’imagination seule qui parle, prolongeant le thème. Presque jamais il n’en est ainsi chez de Musset, sauf en quelques fragmens où l’esprit seul se joue. Quand la passion parle, tout jaillit de source, tout est spontané, et c’est à ce point que là où l’homme cesse de sentir, le poète cesse de chanter. C’est ce qui explique comment tous ses vers tiennent en deux petits volumes, et c’est ce qui fait aussi que cette poésie, réduite à son essence la plus énergique, a un tel accent de vérité et un charme si vivant.

La popularité d’Alfred de Musset est un des phénomènes littéraires les plus curieux de notre temps, et par ce mot je n’entends pas le banal retentissement d’un nom dans une foule vulgaire. La popularité de l’auteur de Rolla est d’une autre nature: elle est moins étendue, et d’un ordre plus choisi. Elle a eu de la peine à se faire jour tout d’abord, puis elle a éclaté tout à coup à un certain moment, et chose étrange, tandis que d’autres popularités poétiques ont diminué, celle-ci a grandi par les sympathies de la jeunesse surtout. C’est un phénomène littéraire universellement constaté. Je crains cependant qu’il n’y ait eu l’autre jour quelque erreur d’optique à l’Académie, une erreur qui n’intéresse pas seulement le poète, mais encore tous ceux qui lui ont fait cette fortune nouvelle. Est-il donc vrai qu’il y ait une méprise dans la popularité d’Alfred de Musset, que la floraison printanière de son génie continue à éclipser les inspirations supérieures de sa maturité, et que pour tous, en un mot, le poète soit encore le Chérubin souriant et moqueur d’autrefois, le railleur impitoyable, le rossignol sceptique et licencieux, le rimeur révolté de la Ballade à la Lune? C’est là sans doute une délicate manière de relever le prix de quelques-unes des plus belles œuvres d’Alfred de Musset, en demandant pour elles un peu de ce soleil qui va s’égarer sur des œuvres moins pures; mais alors le reproche va droit au temps où nous vivons, à tous ceux qui font la popularité du poète. Je crains, dis-je, que l’Académie, en jugeant ainsi, ne soit encore sous des impressions anciennes, et peut-être ne serait-il pas impossible de rassurer le goût si éclairé et si fin de M. Vitet en lui affirmant que les Nuits et l’Espoir en Dieu ne sont pas seulement du domaine de quelques érudits à la recherche de beaux vers. Seulement il se peut que, lorsque ces merveilleux fragmens venaient au jour pour la première fois ici même, bien des esprits fussent tournés d’un autre côté et peu occupés de poésie. Si la jeunesse s’est éprise d’Alfred de Musset, ce n’est pas l’auteur de Mardoche et de l’Andalouse qu’elle s’est plu à voir uniquement en lui; elle connaît les Nuits, et l’Épître à Lamartine, et le beau morceau du Souvenir. Elle a aimé Alfred de Musset, parce qu’elle a trouvé en lui le chantre ému de toutes les émotions les