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nier, qui ne peut se passer de sa fille, achète à son gendre sa découverte, et Pierre Chambeau, après beaucoup de déceptions, se trouve en réalité avoir fait un beau mariage.

Cette pièce, qui, comme on voit, est loin d’être une œuvre hors ligne, se laisse écouter cependant, et compose un spectacle agréable. Elle languit et se traîne souvent, mais soudain le bon mot éclate, le trait brille, le dialogue s’anime, et l’on oublie ces lenteurs et ces défaillances. M. Augier a prouvé une fois encore que l’esprit fait excuser bien des défauts ; cependant je n’oserais pas l’encourager à renouveler trop souvent l’expérience. L’esprit tient lieu de bien des choses, mais il ne peut pas remplacer la vérité et l’intérêt dramatique, et de jolis mots ne peuvent pas remplacer les caractères. Une scène adroite suffit pour sauver une pièce, je le veux bien ; encore ne faut-il pas employer des moyens de contrebande. Or supprimez la grande scène du quatrième acte, qui n’est autre chose qu’une très dramatique pantomime, et la pièce n’a aucun caractère original ; supprimez quelques jolis mots et quelques traits heureux, et le dialogue vous apparaîtra terne et traînant. Cette comédie contient plus d’une excellente leçon morale, dont le jeune public de notre temps pourra faire son profit : elle enseigne la dignité personnelle, le respect de la conscience, et peut faire réfléchir plus d’un envieux ou d’un ambitieux ; mais combien plus frappante serait la leçon, si l’auteur, au lieu d’être avant tout préoccupé de briller et d’amuser, avait voulu toucher et émouvoir ! M. Augier est spirituel, et réussira toujours à plaire : amuser est donc pour lui une tâche trop facile, et nous voudrions le voir poursuivre une ambition qui lui demandât de plus grands et de plus sérieux efforts.


ÉMILE MONTÉGUT.




REVUE MUSICALE.


Il s’est passé au Théâtre-Italien depuis quinze jours un de ces événemens qui donnent la mesure du goût d’une époque : on a livré à la risée publique une des merveilles de l’esprit humain, le Don Juan de Mozart. De mémoire d’amateur, et j’en connais de très anciens, on ne se rappelle pas avoir vu sur le Théâtre-Italien de Paris quelque chose d’aussi scandaleux que les cinq représentations qui ont été données du chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de la musique dramatique. Qu’on s’imagine deux femmes vieillies et sans voix chargées de rendre, l’une le rôle de Zerlina, l’autre celui de dona Anna ; un don Juan ridicule, obligé de changer tous les passages caractéristiques de son rôle mâle et terrible ; un Leporello qui n’a que de la bonne volonté, des chœurs comme il n’en existe plus nulle part, un chef d’orchestre inintelligent qui n’a pas la première notion du style de Mozart, et on aura à peine une idée du spectacle dont nous avons été le témoin attristé. Que dirait-on d’un directeur du Musée qui s’aviserait d’habiller la Vénus de Milo d’une robe à crinoline, de couvrir la Sainte Famille de Raphaël d’une couche de vermillon ? Que dirait-on d’un directeur du Théâtre-Français qui ferait