Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

second et le troisième acte se ressemblent beaucoup, et pourraient sans peine être fondus en un seul. Une des premières lois de l’art dramatique, c’est que chaque acte doit contenir une action particulière, distincte de la précédente. Le sens du mot acte proclame assez clairement l’importance de ce principe élémentaire. Si ce principe n’est pas observé, la division du drame en parties est inutile, et on peut se contenter de la division par scènes. Or le troisième acte d’un Beau Mariage continue la situation du second, ou pour mieux dire la répète si bien, que, n’ayant d’autre secours que notre mémoire, nous ne pouvons parvenir à nous rappeler si tel ou tel incident fait partie du second ou du troisième acte. Les caractères n’éveillent pas très fortement l’intérêt. Mme Bernier est un composé assez inexplicable, ou plutôt assez mal expliqué, d’étourderie et d’égoïsme. Pendant le premier acte, Pierre ressemble à tous les amoureux de convention qu’on voit au théâtre; il n’y a que le costume de changé. Au second et au troisième acte, il est indécis, irrésolu, sans ressources morales, et, comme on dit, sans défense, jusqu’au moment où sa colère éclate, et où il prend la détermination de quitter la maison de sa belle-mère. Le caractère de Clémentine ne se soutient pas, et se dénature subitement entre deux actes, sous l’effet du mariage. Nous avons vu ce qu’elle était au premier acte, sensée, peu exigeante, dépourvue de passion, mais sans trop de sécheresse, — une femme qui ressemble à bien d’autres, incapable d’aimer beaucoup et très capable d’aimer un peu. Au second acte, il ne reste rien de cette première Clémentine : elle est froide, sèche, taquine, impérieuse, inintelligente. Le mariage ne lui a rien révélé, et semble au contraire lui avoir fait oublier tout ce qu’elle savait. Quant aux caractères tranchés de la pièce, ce sont des caractères à outrance, et qui touchent à la charge et à la caricature, La Palude et Pingoley.

Le quatrième acte est la partie vraiment originale et neuve de la pièce. L’intérêt qu’il éveille n’est pas précisément obtenu par des moyens littéraires et poétiques. Sans doute plus d’un défenseur des saines traditions aura déclaré de très mauvais aloi l’émotion brutale qu’il a ressentie, et je n’oserais pas dire qu’il a tort. Il est trop facile vraiment d’exciter l’émotion par de tels moyens. Et même est-ce le nom d’émotion qu’il faut donner à la sensation toute physique qu’éprouve le spectateur, ou bien celui d’ébranlement nerveux? Cependant je n’ai pas le courage de blâmer la tentative de M. Augier, et je crois que le public pensera comme moi. Le public moderne, positif, affairé, besoigneux, semble avoir de lui-même la meilleure opinion; il aime à se contempler sur la scène avec ses préoccupations, ses travaux, ses habitudes, son costume; il aime à trouver au théâtre non-seulement ses passions, mais jusqu’aux objets qui lui sont familiers, les outils, les instrumens scientifiques, les machines. Dans cette salle du Gymnase, des centaines de jeunes gens pauvres et laborieux, étudians en médecine, élèves en pharmacie, apprentis chimistes, jeunes mécaniciens, bondissent de joie, soyez-en sûrs, chaque soir, en voyant employés comme moyens d’émotion les occupations qui leur sont habituelles et les spectacles avec lesquels ils sont familiers. Il y a quelque chose de très légitime dans cette exigence, je n’en disconviens pas. Si le théâtre moderne a la prétention de nous intéresser, qu’il nous représente la vie dont nous vivons, les épreuves