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conquérir l’indépendance pour l’Italie, nous ne pouvons ignorer qu’il s’agit d’y établir et d’y fonder de nos propres mains ces institutions libérales que nous avons perdues, ou que nous ne possédons point encore. Œuvre étrange et contradictoire : s’imagine-t-on, par exemple, la liberté de la presse fondée par nous en Italie et les journaux italiens arrêtés à la frontière, si chez nous la presse n’était pas rentrée dans le régime du droit commun ? Tout le monde sent cette anomalie. Nous lisons par exemple dans une brochure (la Prusse et la Question italienne) publiée à Berlin, traduite à Paris, et qui a fait un certain bruit, car elle est l’écho des aspirations guerrières éveillées par la question d’Italie, ce curieux passage : « L’empereur laissera pleine liberté aux idées libérales de son cousin aussi bien que de la maison de Savoie, et il provoquera même en Italie l’établissement d’institutions constitutionnelles. Cette réorganisation de l’Italie sera pour lui, selon toute probabilité, l’occasion la plus favorable pour relâcher un peu les rênes de son pouvoir en France, sans avoir l’air de céder à une pression intérieure. Tout porte à croire que l’empereur cherche cette occasion, et que cette pensée n’est pas tout à fait étrangère à sa politique italienne. » Nous ne prendrions pas sur nous la licence d’émettre de telles hypothèses ; mais puisque l’honnête écrivain allemand est si bien instruit des douceurs que nous réserve l’avenir, nous nous permettrons de lui demander s’il ne serait pas plus logique et plus honorable pour la France de lui accorder avant la guerre les institutions qu’on l’invite à aller fonder à ses risques et périls en Italie. Ces institutions ne sont point une récompense qui se gagne sur les champs de bataille ; elles ont toujours été considérées comme de précieuses garanties pour les peuples et pour les gouvernemens. Elles associent franchement en effet les peuples aux entreprises de leurs gouvernemens, et permettent aux nations d’éclairer le pouvoir et de prévenir ses erreurs. Si donc elles sont aussi utiles que nous le croyons, d’accord avec le bon publiciste allemand, c’est bien plus à la veille qu’au lendemain d’une guerre.

Nous avons certes le triste droit de donner aux Italiens le conseil de ne point faire passer dans leur impatience belliqueuse l’indépendance avant la liberté, car si les orages de la liberté nous ont cruellement éprouvés dans nos révolutions intérieures, jamais du moins ils n’ont compromis notre indépendance nationale, laquelle deux fois a été atteinte dans ce siècle à la suite des guerres du grand général qui avait fait accepter par la France l’échange trompeur de la liberté contre la gloire des armes. Si nous étions en effet réduits à discuter ce dilemme de paix ou de guerre, les écrivains italiens qui l’agitent devant nous ne devraient-ils pas être pénétrés de l’avantage qu’aurait la France à pratiquer dès à présent en une telle conjoncture les institutions qu’on lui montre comme un appât dans l’avenir ? Le jour où la France, après des discussions approfondies, se déciderait à prêter son épée à l’Italie, les patriotes italiens pourraient être certains que la nation tout entière entrerait dans la lutte non pas seulement avec cette martiale ardeur qui mène au combat nos soldats fidèles au drapeau, mais aussi avec cette parfaite confraternité de pensées et de sentimens qui est nécessaire au triomphe d’une cause commune. C’est qu’en effet ce jour-là la France aurait pris son irrévocable parti, après avoir regardé patiemment, profondément.