Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peu inquiet des résultats mêmes, le théoricien s’abandonne d’abord à la joyeuse confiance d’un savant qui voit s’ébranler et se mettre en marche un mécanisme de son invention, car le mouvement prit au début l’apparence d’une véritable résurrection religieuse, où la politique se transformait sous les auspices du pape. Le roi est moins prompt à s’exalter: l’essai lui semble prématuré, l’entrée en matière trop brusque. Plus sincère que les autres princes italiens, qui feignent de s’associer à un élan dont ils s’effraient pour l’abandonner bientôt, Charles-Albert mesure du regard les dangers d’une voie où il persistera jusqu’au bout une fois qu’il s’y sera engagé. Prévoit-il l’insuccès? doute-t-il de la consistance de cette association italienne qui repose sur une seule tête, celle de Pie IX? N’est-il qu’irrésolu, comme il l’a été en tant de circonstances? En ces agitations premières, il laisse voir certainement quelques appréhensions; mais son incertitude n’est rien, comparée aux tourmens qui l’ont assiégé jusqu’alors. On sent qu’il ne voudrait pour rien au monde revenir sur ses pas. La guerre prochaine, heureuse ou non, ne peut lui causer autant d’angoisses que la lutte intime à laquelle il échappe. Les pires combats, il vient de l’éprouver, sont les combats intérieurs. Il partage, autant que son caractère le lui permet, l’allégresse qui s’est emparée de Balbo et de la masse de la nation ; il est l’un des premiers délivrés dans cet affranchissement qui commence, et le soulagement qu’il ressent compense bien les embarras de sa nouvelle position.

Il n’est plus permis d’hésiter pourtant : l’occasion s’offre de mettre en pratique les théories qui placent sous les auspices de la papauté la régénération de l’Italie. Le récit de cette grande expérience n’est pas simplement un épisode mémorable de la vie de Charles-Albert et de Balbo; c’est un des chapitres les plus instructifs de l’histoire italienne au XIXe siècle. L’Italie, à un certain moment, s’est trouvée unie tout entière pour la conquête de l’indépendance; l’Autriche n’existait plus qu’en Lombardie : d’où vient que l’Autriche se relève encore une fois, et que l’Italie est écrasée? Quel élément fatal, introduit dans l’entreprise, la fait avorter au premier revers de Charles-Albert, et dissout l’association des Italiens? Cet élément ne serait-il point l’idée fausse que Balbo et Gioberti avaient eue jusqu’alors sur la papauté? Jamais, il est permis de le croire, un pape d’un meilleur vouloir ne pourra donner le mot d’ordre de la cause nationale à des peuples mieux disposés à le seconder, et si l’idée de Balbo et de Gioberti n’a pas sauvé l’Italie en ce temps-là, il faut que cette idée soit impuissante, il faut que le pape ne soit réellement pas la clé de voûte de l’édifice où tant d’héroïques dévouemens ont apporté leur pierre inutile.