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maison d’aliénés avec tout le comfortable et toutes les améliorations de la science moderne. J’usais largement de son hospitalité, mais je ne le voyais guère qu’à l’heure des repas; il s’occupait tout le jour aux soins que réclamaient ses malades, et moi-même je passais mes journées à visiter Florence. Nous dînions à cinq heures, selon l’usage presque général des Florentins, qui veulent se ménager le temps d’aller avant la nuit se promener aux Cascine. Chaque jour, après le dîner, nous profitions des dernières heures de lumière pour faire quelques courses dans les environs. Généralement le but de notre promenade était Torre ciel Gallo, cette vieille tour carrée que connaissent bien les voyageurs, et où la tradition affirme que Galilée observait les astres. Nous arrivions là pas à pas, tout en fumant, par un petit chemin bordé de haies d’églantiers, derrière lesquelles on aperçoit la verdure dorée des vignes mêlée au pâle feuillage des oliviers. La vieille femme qui habite près de la tour nous en remettait la clé; nous traversions l’étroit jardin que gardent deux vieux cyprès, puis le cloître à trois côtés, et, ayant poussé la porte, nous montions l’escalier effondré, dont une marche brisée est remplacée par un chapiteau antique. Parvenus à la plate-forme carrée, où un coq de tôle grince au gré du vent sur sa tringle de fer, nous nous arrêtions, et le plus souvent sans parler, nous restions absorbés dans la contemplation du spectacle qui se déroulait sous nos yeux. Florence, avec le Dôme, Saint-Laurent, Santa-Croce et le palais ducal, nous apparaissait, vêtue d’ombre violette, derrière une petite colline toute ruisselante de figuiers. L’Arno, comme un large ruban d’argent, côtoyait la sombre verdure des Cascine. Les montagnes de l’ouest, au-delà desquelles on pressentait la mer, frangeaient l’horizon vermeil de leurs lignes sérieuses, et détachaient dans la clarté la silhouette noire des hauts pins-parasols qui ressemblaient de loin à des sentinelles perdues surveillant la campagne. Un grand calme lumineux et plein de silence planait autour de nous; les émotions intimes et profondes que seule peut donner la nature nous pénétraient, et, comme me le disait une fois le docteur en souriant, nous nous sentions les prêtres de Cybèle, la grande déesse.

Un soir que nous venions de partir pour notre promenade ordinaire et que déjà nous étions engagés dans le petit chemin, nous entendîmes courir derrière nous; une voix essoufflée appelait le docteur : nous nous retournâmes, et chacun comprendra mon étonnement lorsque je reconnus Giovanni.

— Pardonnez-moi de venir vous troubler, dit-il au docteur; mais M. Le chevalier se plaint beaucoup depuis quelques instans : il est retombé dans sa mélancolie, et je redoute une crise.