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révolutions qui s’accomplissent dans la constitution militaire des autres puissances de l’Europe.

J’entendais raconter à Vienne même, il y a quelques années, que lorsqu’en 1831 le prince de Ligne y vint notifier, au nom de son pays, l’avènement du prince Léopold de Saxe-Cobourg au trône de Belgique, il fut reçu par l’empereur François Ier avec une courtoisie particulière. Après les complimens d’usage, le monarque dit à l’ambassadeur : « Vous ne manquerez pas de répéter à sa majesté le roi Léopold qu’en parlant de lui j’ai insisté à plusieurs reprises sur son titre de roi des Belges. Personne ne le salue en cette qualité avec autant de plaisir que moi. Roi des Belges ! je n’ai certes pas envie de l’être à sa place, et ce n’est pas à mes yeux le moindre mérite de la constitution du nouvel état que de nous dispenser à jamais, moi et mes successeurs, de nous mêler de ses affaires. Gouverne les Belges qui pourra, pourvu que ce ne soit pas nous! La Belgique a appartenu à ma maison, et Dieu sait ce que nous ont valu de peines l’esprit remuant de ses habitans, le soin de le contenir, celui de défendre ses frontières. Elle nous coûtait, même en finances, le double de ce qu’elle nous rendait... » Et, là-dessus, rappelant les révoltes et les guerres dont la Belgique avait été le théâtre, l’empereur montra combien l’histoire de cette contrée lui était familière. «Rendez fidèlement ma conversation à sa majesté le roi des Belges, dit-il en terminant, et qu’elle y voie la preuve de la cordialité de mes vœux pour sa personne et pour ses états. »

Quelques hommages que l’on rende à la sagesse de ce langage, il serait malséant de se demander en ce moment si quelque jour il n’en sera pas tenu un semblable à Vienne lorsque la Lombardo-Vénétie aura reconquis son indépendance. Les possessions de l’Autriche au sud des Alpes et à l’est de l’Isonzo sont pour elle certes une véritable Belgique, à cela près que sa domination y lutte contre des antipathies séculaires, tandis qu’adoucie par la crainte de donner à un voisin sympathique et redoutable des mécontentemens à exploiter, elle était acceptée sans répugnance sur les rives de l’Escaut. En 1848, quand la Bohême et la Hongrie avaient, comme les provinces italiennes, les armes à la main pour se séparer de l’empire, la pensée a germé à Vienne de constituer la Lombardie et la Vénétie en un état séparé, sous la souveraineté d’un archiduc, et de substituer ainsi un voisin paisible, peut-être un allié fidèle, à un esclave toujours frémissant et toujours à l’affût de l’occasion de frapper son maître; mais ce projet fut bientôt abandonné par suite des désastres de l’armée piémontaise. La pensée de politique clairvoyante que la mauvaise fortune suggérait à l’Autriche aux premières victoires du roi Charles-Albert ne retrouvera peut-être plus son heure. Aujour-