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épuiser la France, réduire l’Europe au désespoir et préparer la ruine du vainqueur. Il semblait alors qu’il commandât à la fortune. Son ascendant paraissait tellement irrésistible, que les partis, malgré tout ce qu’il y a de vivace dans leurs espérances et dans leurs illusions, en furent découragés. Les républicains disparurent en quelque sorte; les royalistes cessèrent de conspirer; leurs comités, en permanence à Paris depuis le temps du directoire, tombèrent en dissolution; bon nombre d’entre eux se rallièrent au gouvernement ou même à la cour, et les autres bornèrent leur opposition à attendre, sans beaucoup d’espoir, des temps plus favorables.

Ce fut là la meilleure époque de l’empire. Plus tard, après le traité de Tilsitt, la destinée de Napoléon a pu sembler plus brillante encore; mais déjà la première campagne de Pologne, en le mettant au bord du précipice, en détruisant presque la meilleure armée qu’il ait jamais eue, avait indiqué son côté faible, celui par lequel il devait périr un jour; déjà il était lancé dans cette carrière d’aventures illimitées où l’on est presque assuré de se perdre, lorsqu’on s’y est malheureusement engagé. Après Austerlitz au contraire, il pouvait encore s’arrêter; les ressources de la France étaient entières, et, par une heureuse coïncidence, la mort de Pitt venait de porter au gouvernement de l’Angleterre des hommes qui auraient tenu à honneur de faire avec l’empereur des Français une paix tant soit peu raisonnable. Il dépendit alors de Napoléon de se réconcilier avec l’Angleterre, de se faire reconnaître par elle sans rien abandonner de ses conquêtes, sans faire même aucun sacrifice d’amour-propre; il ne le voulut pas. Cette occasion ne devait plus se retrouver.

Déjà le vertige auquel le pouvoir absolu et les faveurs excessives de la fortune livrent tôt ou tard les plus fortes têtes s’était emparé de lui. Cette idée, que naguère, au camp de Boulogne, il exprimait à ses généraux, de créer autour de la France des trônes relevant de lui, idée qui n’était peut-être d’abord qu’un caprice de son imagination, un moyen de tenir en haleine l’ambition de ses compagnons d’armes, il commençait à la prendre au sérieux. La première application qu’il en fit, ce fut de donner à Joseph le royaume de Naples, enlevé à son souverain légitime, qui avait fait partie de la dernière coalition contre la France. Joseph accepta cette couronne parce qu’on n’y mit pas la condition contre laquelle il s’était révolté lorsqu’on lui avait offert la Lombardie. Cet événement exerça une influence décisive sur la destinée de M. Miot. Depuis son retour de Corse, il n’avait pas cessé de siéger au conseil d’état. Seulement, lors de la réorganisation du ministère de la police, qui avait eu lieu en 1804, le territoire de l’empire ayant été partagé entre quatre conseillers d’état, choisis dans la pensée de tempérer et de contrôler au besoin l’action de Fouché, il avait été l’un des quatre élus, et il