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avec moi ma femme et mes enfans. » — « Ce nouveau refus, ajoute M. Miot, et le ton dont il fut énoncé et soutenu, portèrent la colère de l’empereur au dernier excès. Il saisit le prince Louis par le milieu du corps et le jeta avec la plus grande violence hors de son appartement[1]. » C’est alors que Napoléon se décida à prendre lui-même le titre de roi d’Italie, et à envoyer à Milan, en qualité de vice-roi, le prince Eugène Beauharnais, qu’il destinait à y régner un jour.

Pendant ces luttes domestiques, un orage se préparait au dehors, L’Autriche, la Russie, la Suède, la Prusse même, prenaient contre la France une attitude de plus en plus hostile. Les trois premières de ces puissances formaient, avec l’Angleterre et avec la cour de Naples, une coalition dont le but avoué était de réduire la France dans les limites fixées par la paix d’Amiens, et de délivrer l’Italie et la Hollande, occupées par ses armées. Une guerre continentale était donc imminente, et Napoléon la désirait, comme pouvant seule le tirer de la situation fausse et pénible où l’avait jeté sa rupture avec l’Angleterre. Confiant dans son génie et dans les dispositions de ses soldats, il ne doutait pas du succès. Il mettait tous ses soins à réchauffer l’ardeur de ses généraux, chez qui l’amour du repos commençait à se faire sentir, en ouvrant à leur ambition une nouvelle et immense carrière. « Ce que j’ai fait jusqu’ici n’est rien encore, dit-il un jour, au camp de Boulogne, à quelques-uns de ceux qu’il admettait dans son intimité. Il n’y aura de repos en Europe que sous un seul chef, sous un empereur qui aurait pour officiers des rois, qui distribuerait des royaumes à ses lieutenans, qui ferait l’un roi d’Italie, l’autre roi de Bavière, celui-ci landamman de Suisse, celui-là stathouder de Hollande, tous ayant des charges dans la maison impériale avec les titres de grand-échanson, grand-pannetier, grand-écuyer, grand-veneur, etc. On dira que ce plan n’est qu’une imitation de celui sur lequel l’empire d’Allemagne a été établi, et que ces idées ne sont pas neuves; mais il n’y a rien d’absolument nouveau, les institutions politiques ne font que rouler dans un cercle, et souvent il faut revenir à ce qui a été fait. »

Malgré tous les efforts de l’empereur pour exciter les esprits, l’opinion de Paris n’était pas favorable à la guerre. « On ne voyait pas sans trembler, dit M. Miot, remettre en question tant d’intérêts qu’une suite de revers aurait pu compromettre, peut-être même ruiner entièrement; et, si l’enthousiasme se montrait parmi les troupes, le découragement était visible dans le peuple, et les ennemis de l’empereur ne manquaient pas de l’entretenir. A peine avait-il quitté la capitale, que des inquiétudes assez vives se mani-

  1. Mémoires du comte Miot, tome II, page 257.