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produisit fut si grand que lorsqu’on alla aux voix, la majorité se prononça pour la conservation du jury. Après un moment d’hésitation, Cambacérès se tourna vers l’empereur, et, étendant les bras comme s’il eût voulu lui dire qu’il ne s’était pas attendu à ce qui se passait, lui annonça le résultat du vote. L’empereur leva brusquement la séance : son mécontentement était visible. Néanmoins il ne crut pas devoir supprimer le jury contre l’avis du conseil d’état; il se borna à le dénaturer par l’organisation qu’il lui donna, et le principe fut sauvé, en sorte que dans des temps plus heureux on n’eut qu’à en rectifier l’application.

Napoléon avait donc consenti à reculer devant l’opposition du conseil d’état. Ce conseil étant en réalité une émanation, un instrument du pouvoir, qui y cherchait des lumières et prenait ensuite librement ses déterminations, céder à ses représentations, ce n’était donc point, de la part du chef de l’état, faire une concession à un autre pouvoir ni subir un échec. C’était simplement modifier sa première pensée après un plus mûr examen, et il n’y avait rien là qui pût soulever les susceptibilités de l’absolutisme le plus ombrageux, d’autant plus que les délibérations de ce corps étaient secrètes. Ainsi s’explique l’espèce de liberté qu’on y laissa subsister, alors même que les grands corps qui avaient en droit une existence et des attributions indépendantes étaient réduits au silence et à la nullité. On sait que le tribunat ne tarda pas à être supprimé. Quant au corps législatif. Napoléon, d’après un système qu’il avait développé en plein conseil d’état, pensait qu’il ne fallait lui soumettre, en dehors du budget, que des généralités, des questions purement spéculatives, dont la solution dans un sens négatif ne pût embarrasser la marche du gouvernement, et qu’on devait se passer de son concours pour tout ce qui avait un caractère pratique. C’était singulièrement restreindre le domaine de la loi. Napoléon semblait reconnaître qu’un pareil système n’était pas absolument conforme à la lettre de la constitution; « mais, ajoutait-il, c’est l’esprit,... non pas la lettre qu’il faut suivre, et cette constitution, dont j’ai été un des grands architectes, n’a jamais eu pour but de conserver à une assemblée délibérante et essentiellement étrangère à l’administration l’influence dans la direction des affaires, qu’elle a voulu expressément réserver au gouvernement pour la paix et la stabilité de l’état. » Napoléon disait encore que c’était rendre un mauvais service au corps législatif que de l’appeler à discuter des questions sur lesquelles il ne pouvait réellement pas avoir d’opinion, que cela avait pu se comprendre dans le temps où il envahissait tous les pouvoirs et se considérait comme investi de la souveraineté, mais que l’époque de ces vaines utopies était passée, et que le gouvernement, le sénat, le conseil d’état étaient aussi bien les représentans de la na-