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corps législatif manifesta quelque ressentiment, et crut sauver son honneur en faisant insérer au feuilleton de ses séances une note explicative qui dit que la formule employée est celle dont la chambre des communes fait usage. » De vétilleuses chicanes bientôt abandonnées, de timides allusions, des sarcasmes où l’impuissance se déguisait sous l’apparence du dédain, telles étaient les seules et misérables armes de l’opposition. Un des tribuns qui avait parlé en faveur de l’empire, Carrion Nisas, ayant eu la malencontreuse idée de faire représenter en ce moment une tragédie de sa façon qui avait quelque rapport aux circonstances, on se donna le plaisir de la siffler, et les Parisiens crurent avoir remporté ce jour-là une victoire sur le despotisme.

Il y eut pourtant une occasion dans laquelle ce qui subsistait encore d’esprit d’indépendance et de liberté put se manifester d’une manière plus sérieuse et plus efficace. C’était pendant le procès de George et de Moreau. Bien qu’on les eût traduits devant un tribunal spécial jugeant sans jury. Napoléon était profondément irrité de la fermeté des défenseurs, de la faveur que le public leur témoignait, et aussi de ce qu’il appelait les lenteurs de la procédure et l’irrésolution des juges. Il s’en plaignit amèrement dans une séance du conseil d’état, qui avait été convoqué pour examiner un projet de code criminel. Lorsqu’il eut fini de parler, Cambacérès, qui présidait le conseil, exposa l’objet réel de la convocation. « Avant d’entrer, dit-il, dans la discussion du code, il est nécessaire que le conseil se prononce sur quelques questions préliminaires... La plus essentielle qui se présente est celle-ci : la procédure criminelle par jurés sera-t-elle conservée? » La question ainsi posée excita une vive surprise. Très peu de personnes étaient dans la confidence de la pensée qui se révélait de la sorte, et le plus grand nombre n’imaginait même pas que le maintien du jury pût être l’objet d’un doute. Cependant Portails, l’interprète habituel des volontés du gouvernement en matière de législation, prit la parole, s’éleva avec force contre cette institution, reproduisit les doctrines de l’ancienne magistrature, et s’étendit longuement sur la nécessité d’une éducation appropriée pour prononcer en matière criminelle, sur la sécurité que donnaient aux coupables, dans les procès politiques particulièrement, des jurés ignorans ou faciles à entraîner par les émotions d’une sensibilité mal entendue, enfin sur la prétendue incompatibilité de ce mode de procédure avec le retour au système monarchique. Bigot de Préameneu, autre confident de Cambacérès, s’exprima dans le même sens, quoiqu’avec plus de ménagement. Le conseil, pris au dépourvu, paraissait incertain, quand Berlier, dans un discours méthodique, bien qu’improvisé et plein de force et de logique, réfuta victorieusement les deux préopinans. L’effet qu’il