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tre lesquels elles sont dirigées. Elle présentait d’ailleurs, dans quelques-uns de ses élémens, des circonstances odieuses faites pour discréditer les partis qui y avaient pris part, et même le gouvernement anglais, dont quelques agens s’y étaient mêlés; mais la colère qu’en éprouva le premier consul l’entraîna à des excès qui lui firent perdre ce bénéfice, et pour quelque temps au moins soulevèrent contre lui l’opinion publique. M. Miot peint en traits énergiques l’émotion produite par l’exécution du duc d’Enghien. « Il y avait, dit-il, inquiétude, effroi, stupeur. On n’osait ni se parler ni s’interroger. Ce premier sang répandu avec des circonstances si terribles, si révoltantes,... cette adoption des-formes des tribunaux révolutionnaires,... effrayaient comme les signes d’une altération intérieure, comme le développement de passions funestes dont cet attentat n’était que la première explosion. On craignait qu’entré une fois dans cette sanglante carrière, le premier consul ne sût plus s’y arrêter; on frémissait de voir à sa disposition des instrumens si serviles et des juges qui pouvaient condamner l’accusé avant qu’il fut amené devant eux. » M. Miot ajoute que, dans cette disposition des esprits, les bruits les plus effrayans et parfois les plus étranges, les plus invraisemblables, se succédaient sans interruption, toujours accueillis par la crédulité publique. Un prince de la maison de Bourbon, le duc de Berri, était, disait-on, caché chez l’ambassadeur d’Autriche. Duroc était parti pour Vienne, afin de négocier et d’obtenir la faculté de visiter l’hôtel de cet ambassadeur. Le premier consul crut devoir intervenir pour mettre fin à ces rumeurs. Sortant de la retraite où il s’était tenu renfermé pendant quelques jours, il parut au conseil d’état et prononça le discours suivant.


« J’ai peine à concevoir comment, dans une ville aussi éclairée que Paris,... on peut accueillir des bruits aussi ridicules que ceux qui y circulent... Comment peut-on croire qu’il existe ici un prince de la maison de Bourbon, qu’il est caché chez l’ambassadeur de l’empereur, et que je n’ai pas osé le faire saisir! C’est bien peu me connaître; c’est avoir une faible idée de la politique qui doit guider un gouvernement. Si le duc de Berri... était caché chez M. de Cobentzel, non-seulement je l’aurais fait saisir, mais j’aurais dans la journée fait fusiller lui et M. de Cobentzel lui-même. Si l’archiduc Charles était à Paris, et s’il eût donné asile à l’un de ces princes, j’aurais fait la même chose, et je l’aurais fait fusiller. Nous ne sommes plus au temps des asiles... Supposer que j’aie fait partir Duroc... pour négocier avec l’empereur la permission de visiter la maison de son ambassadeur, lorsqu’on soupçonne qu’elle recèle un de nos plus grands ennemis, c’est rabaisser la France à la condition des plus petites républiques de l’Europe, de Gênes, de Venise... Ces bruits, ces suppositions sont injurieux pour moi; ils le sont aussi pour l’ambassadeur, dont je n’ai pas à me plaindre. J’ai donc pensé devoir éclairer le conseil d’état sur la vérité de tout ceci, afin que les hommes qui le composent puissent dans leurs conversations rectifier l’opinion... Du