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entretien avec le roi, promettraient plus que je ne puis tenir; il se croirait en sûreté après m’avoir fait accepter des distinctions, des faveurs, et puis il n’en serait rien. » Cependant le roi le fit complimenter par un de ses principaux officiers. Le général donna audience aux ministres, reçut les officiers supérieurs, et même quelques particuliers qui essayèrent vainement de l’entraîner à favoriser les projets des agitateurs. Le pauvre roi lui envoya en cadeau un cheval sarde d’une beauté remarquable; la reine, sœur de Louis XVI, avait passé au cou de ce cheval un collier de pierres précieuses, le seul de ses bijoux qu’elle eût conservé en sacrifiant tous les autres pour les besoins de l’état. Il y avait dans ces humbles et muettes supplications d’une grande infortune quelque chose de si touchant que Bonaparte en fut attendri. Il n’osa refuser ces tristes cadeaux ; mais il fit aux officiers du roi qui les lui avaient présentés des dons qui en dépassaient de beaucoup la valeur. Avant de quitter M. Miot, il entra avec lui dans des explications qui tendaient à justifier la part qu’il avait prise au 18 fructidor, à bien établir qu’il n’avait rien de commun avec les hommes dont il avait assuré le triomphe.


« Je ne voulais pas, dit-il, du retour des Bourbons, surtout ramenés par l’armée de Moreau et de Pichegru... Définitivement, je ne veux pas du rôle de Monk, je ne veux pas le jouer, et je ne veux pas que d’autres le jouent... Mais ces avocats de Paris qu’on a mis un directoire n’entendent rien au gouvernement. Ce sont de petits esprits... Je doute fort... que nous puissions nous entendre et marcher longtemps d’accord. Ils sont jaloux de moi, je le sais, et malgré tout l’encens qu’ils me jettent au nez, je ne suis pas leur dupe. Ils se sont empressés de me nommer général de l’armée d’Angleterre pour me tirer de l’Italie, où je suis le maître et plus souverain que général d’armée. Ils verront comment les choses iront quand je n’y serai plus. J’y laisse Berthier, mais il n’est pas en état de commander en chef, et... il ne fera que des sottises. Quant à moi, mon cher Miot, je vous le déclare, je ne puis plus obéir; j’ai goûté du commandement, et je ne saurais y renoncer. Mon parti est pris : si je ne puis être le maître, je quitterai la France; je ne veux pas avoir fait tant de choses pour la donner à des avocats. Pour ce pays (parlant du Piémont), il ne sera pas longtemps en repos. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour assurer la tranquillité du roi, mais le directoire a autour de lui un tas de patriotes et d’idéologues qui n’entendent rien à la politique. Ils mettront l’Italie en combustion, et nous en feront chasser un jour. »


On sait avec quelle ponctualité et quelle promptitude s’accomplirent ces prédictions. M. Miot ne fut pas témoin de ces nouvelles catastrophes. Dans son sincère désir de sauver le gouvernement piémontais, il avait essayé de lui faire comprendre le danger des répressions sanglantes et exagérées qu’il opposait aux tentatives de ses ennemis intérieurs. Le cabinet de Turin, irrité de ces remon-