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M. Miot et M. de Melzi s’étant récriés à la fois contre un semblable projet, qui mettait encore l’Autriche aux portes de l’Italie, et qui tromperait si cruellement l’espoir d’une population naguère affranchie du joug de l’oligarchie : « Je n’en viendrai là, reprit Bonaparte, que si je suis obligé par quelque sottise à Paris à faire la paix, car mon intention n’est nullement d’en finir si promptement avec l’Autriche. La paix n’est pas dans mon intérêt. Vous voyez ce que je suis, ce que je puis maintenant en Italie. Si la paix est faite, si je ne suis plus à la tête de l’armée que je me suis attachée, il faut renoncer à ce pouvoir, à cette haute position,... pour aller faire ma cour au Luxembourg à des avocats. Je ne voudrais quitter l’Italie que pour aller jouer en France un rôle à peu près semblable à celui que je joue ici, et le moment n’est pas encore venu... La conduite de tout ceci ne dépend pas uniquement de moi. Ils ne sont pas d’accord à Paris. Un parti lève la tête en faveur des Bourbons; je ne veux pas contribuer à son triomphe. Je veux bien un jour affaiblir le parti républicain, mais je veux que ce soit à mon profit, et non pas à celui de l’ancienne dynastie. En attendant, il faut marcher avec le parti républicain; mais la paix peut être nécessaire pour satisfaire les désirs de nos badauds de Paris, et si elle doit se faire, c’est à moi de la faire. Si j’en laissais à un autre le mérite, ce bienfait le placerait plus haut dans l’opinion que toutes mes victoires. »

L’empereur Napoléon était déjà tout entier dans ces paroles du général Bonaparte, avec son ambition et son orgueil gigantesque, son impatience de tout contrôle, ses vues profondes, ses projets illimités, son habitude de tout ramener à lui, de prendre pour unique criterium du bien et du mal les convenances de son absorbante personnalité; on y voit ce qui décida le général victorieux à signer la paix de Campo-Formio, qu’à tort ou avec raison il ne jugeait pas conforme à une saine politique, et à favoriser, à rendre possible par son appui la révolution du 18 fructidor, qui replaça la France sous le joug des jacobins. Il avait d’ailleurs trop de sens, il connaissait trop bien l’Italie, pour approuver le système de bouleversemens révolutionnaires adopté par le directoire à l’égard de ce pays. Il n’entrait pas dans ses vues de détruire la monarchie piémontaise et d’encourager les mouvemens séditieux qui déjà s’y manifestaient à l’instigation secrète de certains agens français. Seulement il ne dissimula pas à M. Miot, qui les désapprouvait comme lui, qu’il ne se sentait pas en mesure de protéger le cabinet de Turin contre le mauvais vouloir du gouvernement français. Lorsqu’après la paix de Campo-Formio, laissant à Berthier le commandement de l’armée, il traversa Turin pour rentrer en France, il refusa de paraître à la cour. « Je ne veux pas y aller, dit-il à M. Miot, je ne veux aucune fête, aucun honneur. Je ne veux pas tromper : ma présence à la cour, un