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étrange de recevoir à sa table un général de la république française. Il eût été bien autrement surpris s’il eût pu prévoir que, quelques années plus tard, il irait lui-même aux Tuileries grossir la cour de ce général, devenu souverain d’un vaste empire qui compterait la Toscane au nombre de ses provinces.

Dans son récit de l’entrevue qu’il eut à Bologne avec le général Bonaparte pour le détourner de la pensée d’occuper Livourne, M. Miot raconte un trait assez caractéristique. Le général, le voyant en grande familiarité avec Berthier, lui demanda d’où il le connaissait, et sur sa réponse qu’ils avaient été intimement liés dès leur première jeunesse : « Fort bien, reprit-il; mais est-ce que vous croyez comme tout le monde, et comme je l’ai lu dans les gazettes du pays, que c’est à Berthier que je dois mes succès, que c’est lui qui dirige mes plans, et que je ne fais qu’exécuter les desseins qu’il me suggère? — Nullement, lui répondit M. Miot, je le connais assez pour ne pas lui attribuer un genre de mérite qu’il n’a pas. — Vous avez raison, répliqua Bonaparte d’un ton très animé : Berthier n’est pas capable de commander un bataillon. »

Depuis que M. Miot était en Italie, il avait pu arrêter ses idées sur la politique que la France devait y suivre dans son intérêt bien entendu. Une opinion qui allait triompher momentanément poussait le directoire à profiter des succès de nos armes pour révolutionner entièrement la péninsule, c’est-à-dire pour y renverser tous les gouvernemens existans et y proclamer partout la souveraineté du peuple avec la république. M. Miot n’était pas de cet avis; il connaissait assez le pays pour comprendre que dans son ensemble il n’était pas mûr pour ce degré de liberté, et que si l’on pouvait, ce qui est toujours facile, y exciter des soulèvemens, des rébellions, il n’y avait pas d’élémens pour une véritable révolution. Il pensait donc qu’il suffisait de détruire la puissance de l’Autriche et celle du pape, l’une et l’autre, suivant lui, ennemies irréconciliables de l’influence française, et que, ces deux résultats une fois obtenus, on devait laisser la partie de l’Italie conquise par nos armes se donner, sous notre protection, la forme de gouvernement qui lui conviendrait. Il écrivit dans ce sens au directoire. Le général Bonaparte, d’accord avec lui pour repousser ces projets de révolution universelle, dont il comprenait l’absurdité, ne partageait pas ses idées sur la nécessité de renverser le pouvoir temporel du saint-siège, soit que, moins imbu des préjugés philosophiques du XVIIIe siècle, il comprît mieux le danger de s’aliéner ainsi toutes les populations attachées au catholicisme, soit simplement qu’il ne se crût pas assez fort pour porter un si grand coup. Il avait accordé un armistice à la cour de Rome aussi bien qu’à celle de Naples, en y attachant seulement des conditions plus dures, parce que les États--