Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les autres employés dénoncés l’avant-veille au comité, et ce ne fut pas sans peine qu’on les congédia.

Un signe plus singulier encore de la confusion dans laquelle toutes choses étaient tombées, c’est que Buchot, échappé par hasard au coup qui venait de frapper ses protecteurs, et entre autres son digne ami Hermann, put impunément reparaître au ministère des affaires étrangères, où il se montra désormais plus humble et moins redoutable, mais non pas moins nul. Il y resta encore deux mois. Le comité de salut public était alors absorbé par des préoccupations d’une nature plus urgente que celles qui tenaient aux rapports extérieurs de la France. Lorsqu’il eut enfin le loisir d’y donner quelque attention, il comprit qu’au moment d’entrer en négociation avec plusieurs des gouvernemens étrangers que la fin de la terreur et les victoires de nos armées disposaient à rechercher la paix, il fallait donner à la diplomatie française un autre chef que l’abject et ridicule client de Robespierre et d’Hermann. Sans daigner même l’avertir de ce qui se préparait, le comité appela MM. Miot, Otto, Colchen et Reinhardt, leur fit subir une sorte d’examen, dans lequel on leur demanda, entre autres choses, s’ils avaient fait leurs études, s’ils savaient le latin, et, à la suite de cet examen, nomma M. Miot commissaire des relations extérieures. Buchot n’apprit ce changement que par un journal qu’il acheta le soir dans la rue. M. Miot ayant cru devoir, le lendemain, se rendre auprès de lui pour lui faire les complimens usités en pareille circonstance, il s’y montra assez peu sensible, et parla seulement de l’embarras où il allait se trouver, si l’on exigeait qu’il quittât immédiatement l’appartement qu’il occupait à l’hôtel du ministère. Rassuré à cet égard par la promesse qu’il pourrait y rester jusqu’à ce qu’il eût trouvé un autre logement, il remercia M. Miot, lui dit qu’on avait bien fait de le nommer, mais ajouta que, quant à lui, il était fort désagréable qu’on lui eût fait quitter son état en province pour le mettre ensuite sur le pavé, et finit par demander à son successeur s’il ne pourrait pas lui donner dans son administration une place de commis ou même de garçon de bureau. M. Miot, embarrassé de tant d’avilissement, le quitta sans être parvenu à lui faire comprendre l’indécence d’une telle demande et l’impossibilité d’y donner suite. Depuis, il n’entendit plus parler de lui[1].

  1. La tradition des bureaux des affaires étrangères a longtemps conservé le souvenir de cet inqualifiable ministre. Il y a quelques années, d’anciens employés y racontaient encore ses faits et gestes ; de vieux garçons de bureau parlaient de lui comme d’un camarade. Sous l’empire, M. de Talleyrand, apprenant un jour par son médecin qu’il venait de voir à l’Hôtel-Dieu un malade dénué de toutes ressources, qui prétendait avoir jadis tenu le portefeuille des relations extérieures, lui fit allouer une pension de 6,000 francs. Ce malade, c’était Buchot.