Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

institutions et des privilèges qui élevaient devant elle une barrière plus blessante encore pour son amour-propre que pour ses intérêts.

M. Miot appartenait à cette classe dont il partageait les sentimens et les penchans, bien qu’avec plus de modération que beaucoup de ses contemporains, parce qu’il y avait évidemment en lui plus de calme, de raison et d’honnêteté que d’imagination et d’ardeur. Son père était un des premiers commis du ministère de la guerre. Il passa lui-même dans les bureaux de ce ministère, les premières années de sa jeunesse. A l’âge de vingt-six ans, en 1788, il fut envoyé en qualité de commissaire des guerres au camp d’exercice formé à Saint-Omer. Il y fut témoin du mécontentement que faisaient naître dans les troupes les efforts maladroits de quelques officiers-généraux pour les soumettre à la tactique et à la discipline prussiennes, si antipathiques à l’esprit français, et, suivant lui, ce mécontentement ne fut pas sans influence sur l’insubordination qui devait bientôt après se manifester parmi les soldats. Déjà d’ailleurs les préoccupations politiques, l’irritation presque universelle provoquée par les coups d’état du cardinal de Loménie commençaient à pénétrer jusque dans l’armée. On jugea prudent de ne pas laisser plus longtemps les troupes réunies, et le camp fut levé un peu précipitamment.

De retour à Versailles après une absence de quelques semaines seulement, le jeune Miot fut frappé du changement qui s’était opéré pendant ce court intervalle dans l’aspect de la cour. « On apercevait un rapprochement entre les diverses classes de la société, un accès plus facile dans l’intérieur du palais, enfin cette sorte de familiarité que des secours demandés et promis établissent entre les hommes. Les deux assemblées des notables, les desseins avortés du ministère du cardinal de Loménie, la promesse positive de la convocation des états-généraux, les premiers mouvemens séditieux qui s’étaient manifestés à Paris, le retour de M. Necker et les écrits du temps, avaient produit ce grand changement... La cour telle que Louis XIV l’avait faite n’était plus... » Simple spectateur d’un mouvement politique auquel sa position le rendait aussi complètement étranger qu’un Français pouvait l’être alors que tous les intérêts publics et privés étaient en jeu, M. Miot n’entreprend pas dans ses mémoires d’en présenter le tableau. Il se borne à raconter, sur les premiers événemens qui suivirent la réunion des états-généraux, les particularités qui frappèrent ses yeux, ou qu’il apprit dans les conversations du monde. A en juger par les réflexions qu’il joint à son récit, et qui reproduisent les impressions du moment, M. Miot, ami sincère de la royauté, mais convaincu de la nécessité de grandes réformes, déplorait d’autant plus les fautes et la résistance souvent intem-