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selon la traduction de M. Prescott : « Que dira le monde en apprenant que vous refusez de vous confesser ? et aussi quand il découvrira d’autres choses terribles dont vous vous êtes rendu coupable, parmi lesquelles il y en a d’une telle nature, que si elles concernaient tout autre que votre altesse, le saint-office aurait lieu de rechercher si elles sont le fait d’un chrétien[1] ? » Le texte espagnol porte : « Quand viendront à se découvrir d’autres choses terribles, si terribles qu’elles mènent à ce que le saint-office aurait beaucoup de sujet, dans un autre que votre altesse, de s’informer s’il est chrétien ou non. » Suarez ne dit pas les choses terribles dont vous vous êtes rendu coupable, et sa phrase, si l’on en retranche cette addition plus importante qu’elle ne semble au premier abord, s’explique fort naturellement par la tentative de suicide attribuée à don Carlos. Admettons pour un moment avec l’historien américain que don Carlos fût hérétique. Comment, dans ce cas, Suarez chercherait-il à le toucher en lui disant qu’il a commis des actions qui pourraient être recherchées par le saint-office ? Un ami de Polyeucte, qui voudrait le ramener à des sentimens païens, n’ira pas lui dire : Savez-vous que vous passez pour chrétien ? Évidemment Suarez cherche à le calmer et à le détourner de ses idées de suicide en lui parlant de l’opinion publique. Il le croit si peu hérétique, qu’il lui montre le danger de passer pour tel, s’il ne s’amende pas.

Pour le moment, la lettre de Suarez ne produisit aucun effet. Bien que gardé à vue, don Carlos jouissait en effet d’une étrange liberté. Il se tenait presque nu dans un courant d’air, inondait sa chambre d’eau et s’y promenait nu-pieds. Il faisait bassiner son lit avec de la glace. Après être demeuré plusieurs jours sans manger, il dévorait dans un seul repas un pâté de quatre perdrix avec la croûte, et buvait en un jour dix ou douze litres d’eau glacée. Que penser d’un tel régime suivi au vu et au su du prince d’Éboli et de ses six gentilshommes ? Était-il bien nécessaire d’administrer du poison à l’infortuné qui se traitait de la sorte ? Aussi le nonce du pape, en envoyant à sa cour les détails qui précèdent, ajoutait-il : « dans l’impossibilité de se donner la mort par un moyen expéditif, le prince paraît avoir l’intention d’y parvenir non moins sûrement par le régime qu’il suit. »

Arrivé au dernier degré d’épuisement et averti de sa fin prochaine, don Carlos parut soudainement devenir un autre homme. Il appela lui-même le médecin et l’aumônier, accomplit avec re-

  1. « Véa V.A. que haran y diran todos cuando se entienda que no se confiesa, y se vayan descubriendo otras cosas terribles, que lo son tanto que llegan a que el S° Offcio tuviera mucha entrada en otro para saber si era cristiauo o no. »