Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux établi, c’est qu’il aurait laissé échapper des menaces violentes contre son père, et qu’il se préparait à faire quelque mauvais coup. Tout bien considéré, don Carlos me paraît avoir été un maniaque dangereux, et on en a renfermé sur des présomptions moins graves.

Mais avec l’arrestation le mystère ne cesse point. Le prince mourut le 24 juillet 1568, plus de cinq mois après avoir été privé de sa liberté. Sa mort fut-elle naturelle? — Llorente, sur la foi d’un manuscrit dont seul il a eu communication et dont il n’a pas même indiqué l’origine, raconte que le 9 juillet la commission chargée de juger le prince fit son rapport au roi. Elle avait trouvé l’accusé coupable de haute trahison au premier et au second chef : 1° pour avoir conspiré la mort de son père, 2° pour avoir tenté de s’emparer de la souveraineté des Pays-Bas. En rappelant que ces deux crimes entraînaient la peine de mort, la commission s’en référait à sa majesté pour décider si cette peine pouvait être appliquée à l’héritier présomptif. — Remarquons en passant que Llorente, qui avait été secrétaire de l’inquisition, ne dit pas un mot d’hérésie, sachant fort bien que, dans une commission instituée pour juger un crime de cette nature, un laïque n’aurait pu siéger. Le prince d’Eboli en faisait partie; quant à Briviesca, je n’ose affirmer qu’il ne fût pas ecclésiastique. — Le roi aurait répondu à la commission que la loi était faite pour tous, mais qu’il y avait moyen peut-être d’éviter le scandale d’une exécution. La santé du prince était très dérangée; qu’on lui permît de suivre son mauvais régime, il mourrait infailliblement et vite. Seulement il fallait s’arranger pour qu’il eût le temps de se reconnaître et de sauver son âme. Là-dessus le médecin du prince lui aurait administré un violent purgatif qui aurait produit l’effet désiré.

Je me hâte de dire avec M. Prescott que rien n’est plus suspect que cette version admise par M. Llorente d’après une appréciation qu’il ne nous a donné aucun moyen de contrôler. J’ajouterai que ce récit semble inventé après la mort de don Carlos, afin d’expliquer ce qu’elle a de mystérieux. Des témoignages nombreux et irrécusables vont nous faire voir comment le prince fut traité pendant sa captivité. Le roi dicta lui-même les mesures à prendre, et son ordre est daté du 2 mars, c’est-à-dire plus de quarante jours après son arrestation. Le prince d’Éboli fut chargé de la surveillance générale avec six gentilshommes, dont deux devaient toujours être de garde auprès du prisonnier. Pendant le jour, leurs instructions portaient qu’ils devaient tâcher de distraire le prince par leur conversation; mais il leur était défendu de parler politique, et surtout des motifs de sa détention. Si le prince les questionnait à cet égard, il leur était enjoint de garder le silence. Nul message ne devait lui être