Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le nonce du pape à la suite d’une conversation qu’il avait eue avec le cardinal Espinosa le 24 janvier 1568, c’est-à-dire six jours après l’arrestation de don Carlos. « Serait-il vrai, comme on le dit partout, demanda le nonce, que le prince ait voulu attenter aux jours de sa majesté? — Ce ne serait rien, répondit le cardinal, s’il ne s’agissait que d’un danger personnel pour sa majesté, car il serait facile de la bien garder; mais c’est bien pire, — s’il peut y avoir quelque chose de pire. Depuis deux ans, le roi y cherche un remède en le voyant prendre la mauvaise voie; mais il n’a pu l’arrêter ni morigéner cette cervelle, tellement qu’il en a fallu venir à ce que vous voyez. » Selon M. Prescott, cette confidence du cardinal ne peut s’entendre que d’une accusation d’hérésie. Pour deux hommes d’église en effet, c’est le seul crime qu’on puisse appeler pire que le parricide. De fait, le nonce lui-même et le ministre de Toscane interprétèrent dans ce sens les paroles du cardinal. C’est une présomption grave sans doute que les deux ministres aient entendu de la même manière les paroles du cardinal, mais ce n’est pas une preuve qu’ils les aient bien comprises. Il a évidemment évité de prononcer le mot propre, et son langage ne convient pas moins au cas de démence qu’à celui d’hérésie.

Le fait d’un procès intenté au prince, qui est pour M. Prescott un argument sans réplique, ne me semble pas plus convaincant que les paroles à double sens du cardinal Espinosa. Et d’abord n’attache-t-on pas trop d’importance au mot procès? Ne serait-il pas plus exact de dire qu’une commission fut chargée de procéder à l’égard du prince? En effet, personne ne peut dire si elle eut à juger un crime, ou bien à statuer sur l’état mental du prince, ou enfin à suggérer au roi les mesures à prendre pour changer l’ordre d’hérédité, supposé que le prince fût reconnu indigne ou incapable de monter sur le trône. J’irai plus loin, et je dirai qu’il est impossible que la commission ait eu à délibérer sur autre chose que les deux dernières hypothèses que j’ai proposées. En effet, si don Carlos eût conspiré contre son père ou contre la religion catholique, il aurait eu quelque complice, qui eût été assurément pendu ou brûlé, ou à toute force dépêché en secret comme Montigny. Or on ne parle d’aucune exécution, d’aucune sentence, d’aucune arrestation décrétée contre un serviteur ou un ami du prince. Je m’étonne que cette remarque ait échappé à M. Prescott; il devrait savoir qu’un prince ne conspire jamais seul. On se rappelle que la veille de son arrestation don Carlos avait commandé huit chevaux de poste. A coup sûr, ce n’était pas pour lui seul. En 1568, il est plus que douteux qu’on pût aller de Madrid à la frontière en carrosse; il s’agit donc de chevaux de selle, et en tenant compte des postillons qui devaient ramener les