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porte aux gens qu’il voulait recevoir. Ces précautions, et surtout les armes, inquiétaient fort le roi. On commença par déranger le mécanisme des verrous sans que le prince s’en aperçût. Le 18 janvier, au milieu de la nuit, le valet de chambre susdit, étant de service en dehors de la chambre à coucher du prince, vit arriver le roi, revêtu d’une armure et ayant un casque sur la tête. Il était accompagné du duc de Féria, son capitaine des gardes, de quatre ou cinq gentilshommes, et d’une douzaine de soldats. Don Carlos dormait profondément, et la porte fut ouverte sans bruit. Le duc de Féria, entrant le premier sur la pointe du pied, se saisit d’abord d’une épée et d’un poignard placés au chevet du lit, puis d’une arquebuse chargée à balle, déposée un peu plus loin, mais à portée du dormeur. En ce moment, le prince s’éveillant demanda : « Qui va là?» Le duc répondit : « Le conseil d’état. » Aussitôt le prince saute à bas du lit et cherche ses armes, mais déjà les soldats s’en étaient emparés. Le roi, qui attendait ce moment pour entrer, se présenta alors, et lui intima l’ordre de se recoucher et de se tenir tranquille. « Que me voulez-vous? demanda le prince. — Vous l’apprendrez bientôt, » répondit le roi, qui fit aussitôt fermer et cadenasser portes et fenêtres. En même temps il faisait enlever une cassette remplie de papiers et tous les meubles qui auraient pu servir d’armes; on emporta jusqu’aux chenets. En se retirant, le roi dit au duc de Féria qu’il lui confiait la garde du prisonnier, dont il aurait à répondre sur sa tête. « Vous feriez mieux de me tuer tout de suite! criait don Carlos. Si vous ne me tuez pas, je me tuerai moi-même. — Vous n’en ferez rien, dit le roi; ce serait l’action d’un fou. — Je ne suis pas fou; mais vous me traitez si mal que vous me réduirez au désespoir ! » La voix du prince était à demi étouffée par les sanglots. Il demeura étendu sur son lit, versant un torrent de larmes. Le lendemain, le roi réunit son conseil et fit instruire le procès du prisonnier. La séance dura, dit le valet de chambre, depuis une heure de l’après-midi jusqu’à neuf heures du soir, et le procès-verbal ou le dossier formait un cahier épais d’un demi-pied.

Que croire dans tout cela? Le récit de l’arrestation paraît authentique; il est confirmé par les rapports des ministres étrangers, et une scène qui avait quinze ou vingt témoins n’a pu être cachée au public. Quant au procès, il est également incontestable que, le lendemain de l’arrestation de don Carlos, le conseil d’état, ou plutôt une commission spéciale nommée par le roi, délibéra sur l’affaire par son ordre, et sous sa présidence; mais s’agit-il d’un procès, ou d’une enquête? Don Carlos, arrêté par son père, fut-il représenté comme un conspirateur ou comme un maniaque? Parmi les membres de la commission, je ne trouve pas de médecin; mais le méde-