croissante d’un public que les directeurs de théâtre, — race inepte, — abrutissent à plaisir. Or, depuis que le théâtre existe, c’est là le langage de tous les incompris, et ce langage, si spécieux qu’il puisse être, est démenti par une expérience plus que séculaire. À la scène comme ailleurs, plus qu’ailleurs encore, si l’habile médiocrité peut se faire place, le génie aussi, voire le talent, sait conquérir et garder la sienne. Des succès immérités, on en a vu, on en verra toujours ; mais ce qu’on n’a jamais vu, ce qu’on ne verra jamais sans doute, c’est un écrivain de premier ordre, ayant les qualités de la mission par lui choisie, salué une fois des acclamations populaires, et qui manque ensuite à se faire compter pour ce qu’il vaut.
C’est ce qui serait arrivé à Douglas Jerrold, s’il en fallait croire son biographe, aveuglé par un sentiment trop respectable pour qu’on le réfute avec amertume. À Suzanne aux yeux noirs succédèrent Thomas A’Becket, tragédie historique, le Ducat du Diable, drame romantique, en vers blancs (joué au théâtre Adelphi), et à Drury-Lane enfin la Fiancée de Ludgate, en deux actes, pièce de cape et d’épée, où Charles II joue un rôle travesti, très digne de ce joyeux monarque. À Drury-Lane encore, cette première épreuve n’ayant pas été absolument défavorable, Douglas Jerrold donna le Jour des loyers (Rent’Day), drame de la vie privée, tiré du tableau si connu de David Wilkie. Nell-Gwynn, la Ménagère (the House-Keeper), la Robe de noce (the Wedding-Gown), Beau Nash[1], toutes ces pièces bien purement, bien exclusivement anglaises, se succédèrent, de 1831 à 1834, sur les théâtres de Drury-Lane et de Hay-Market — toujours avec succès, nous dit-on. Néanmoins la cause nationale n’était pas gagnée. La France ne perdait pas un pouce de terrain. Les œuvres de MM. Scribe, Bayard, etc., convenablement anglicisées par MM. Peake ou Planché, tenaient victorieusement tête à l’originalité de Douglas Jerrold, à son travail énergique, à son esprit alerte, à son dialogue hérissé de mois, de saillies, de concetti plus ou moins heureux. Le vaillant Breton ne se déconcerte, ne se décourage pas. En 1835, il ouvre sa plus rude campagne dramatique, et coup sur coup, à Drury-Lane, au Théâtre de la Reine, à l’Olympic, à l’Adelphi, les Hasards du Dé, les Camarades d’Ecole, l’Homme est un âne, les Pigeons en cage, attestent la fécondité de sa verve. En 1836, — toujours après de grands succès ! — il entreprend la direction du Strand-Theatre, et là, sous un pseudonyme transparent (Henry Brownrigg), il fait re-
- ↑ Richard Nash, surnommé le roi de Bath, est un de ces princes de la mode qui, depuis plus de deux cents ans, se sont succédé dans la traditionnelle Angleterre. Brummel, et plus récemment le comte d’Orsay, ont tenu le sceptre jadis échu à Beau Nash. On nous pardonnera peut-être de croire cette dynastie épuisée.