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Nombre d’abus qui ont fait le plus grand mal en faussant la constitution économique des divers pays y ont été introduits avec les meilleures intentions : c’est ce que prouverait particulièrement l’histoire administrative de la France.

J’avais à faire comprendre comment et pourquoi la liberté industrielle n’a jamais existé franchement jusqu’à ce jour. Exploitation directe et avouée chez les peuples dans la première phase de leur développement, réglementation plus ou moins désintéressée, plus ou moins intelligente dans les temps policés, action énervante des préjugés et de l’habitude, telles sont les causes qui ont altéré l’ordre de la nature et fait prévaloir diverses organisations où la spontanéité individuelle a presque toujours été contrariée. Il n’est donc pas surprenant que les nations n’aient pas encore connu cette heureuse expansion, ce sentiment du bien-être résultant du libre essor des facultés, et que, si bien drapées qu’elles soient dans leur luxe, la plaie des membres inférieurs, la misère, leur ait toujours fait ressentir on ne sait quel agacement maladif qui les prive du repos.

La liberté politique se rapporte à l’état des personnes; c’est l’égalité des individus au sein d’une constitution consacrant les grands principes du droit naturel. Plus humble dans ses prétentions, plus efficace peut-être dans ses effets, la liberté économique ne concerne que le mouvement industriel; elle implique, au profit de tout individu, le droit d’utiliser ses aptitudes dans un milieu où ses efforts ne seront pas amoindris par des combinaisons arbitraires. Je n’ai point à rechercher ici jusqu’à quel point ces deux natures de liberté sont solidaires, et si l’une pourrait exister sans l’autre. Je constate seulement qu’elles sont distinctes, quoique le vulgaire n’en lasse pas la différence. L’obscurité où toutes ces notions sont restées jusqu’au milieu du XVIIIe siècle a été un malheur pour le genre humain. C’est pour cela que toutes les révolutions anciennes et modernes ont abouti à des avortemens. Arrivée à ce point où les privilèges de caste sont renversés et où il ne reste plus qu’un subtil agencement de privilèges économiques, la plèbe qui a prêté les mains aux révolutions sans profit marqué pour elle-même se désenchante des théories qui l’ont déçue; son dernier rêve est celui d’une dictature spécialement dévouée à ses intérêts. Triste spectacle qui a inspiré une doctrine tristement célèbre, celle de Vico ! Dans cette prétendue philosophie de l’histoire, on nous montre les sociétés condamnées, comme les individus, à parcourir la série des âges depuis la naissance jusqu’à l’anéantissement, et passant ainsi par la théocratie qui les a créées, par la féodalité qui fait leur éducation virile, par la démocratie monarchique ou républicaine qui est leur période de noble maturité, mais qui dure peu et conduit fatalement au despotisme, la dernière étape avant la mort des peuples.