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çons. Un homme que les lecteurs de la Revue n’ont certainement pas oublié, Charles Coquelin, a interprété le vœu de ses devanciers en écrivant dans la vaste encyclopédie dont il a dirigé la publication : «Dans l’ordre économique, il faut bien le reconnaître, les travaux d’art et les études scientifiques demeurent encore, sinon entièrement mêlés, au moins confondus sous une dénomination commune. On a essayé quelquefois, à ce qu’il semble, d’en faire la séparation; mais ces tentatives, mal dirigées et faites le plus souvent sans une vue bien nette du résultat à obtenir, n’ont pas abouti jusqu’à présent[1]. »

Le fait qui saisit tout d’abord dans le traité de M. Courcelle-Seneuil est cette séparation de la science et de l’art tentée méthodiquement pour la première fois, et je dois ajouter accomplie d’une main vigoureuse. Pour marquer plus nettement la différence, il propose deux noms nouveaux : l’un, correspondant à la théorie, ploutologie ou science de la richesse; l’autre, applicable à la pratique, ergonomie ou arrangement du travail. Le nom primitif et consacré par l’usage, celui d’économie politique, ne reste plus que comme une dénomination générale rattachant deux spécialités distinctes, de même que le mot médecine implique la synthèse de toutes les études médicales. Voici d’ailleurs comment l’auteur justifie cette innovation.

La condition d’existence pour l’homme est d’approprier sans cesse à son usage le monde extérieur. Ce qui est évident pour les individus est applicable aux sociétés. Les nations sont plus ou moins favorisées par les circonstances naturelles, influencées plus ou moins heureusement par les institutions qui les régissent : c’est pourquoi elles n’arrivent pas toutes à un même degré de richesse. Néanmoins, quelles que soient les conditions dans lesquelles leur activité productrice s’exerce, on y peut distinguer certains phénomènes qui se reproduisent d’une manière constante, universelle, et certains résultats incessamment diversifiés, en raison des accidens de localité ou des règlemens arbitraires. Dégager la loi permanente du fait accidentel, vérifier l’existence de ces phénomènes qui se manifestent toujours et partout, parce qu’ils dérivent des instincts de l’humanité, en montrer la raison, d’être, la nécessité providentielle, c’est faire de la science abstraite et désintéressée, et tel est le programme de la ploutologie. Si l’on va plus loin, si l’on recherche par l’analyse comment les phénomènes essentiels sont modifiés par les arrangemens arbitraires des sociétés; si l’on se demande par quelles combinaisons on pourrait élever un pays à un

  1. Article Économie politique, dans le Dictionnaire de l’Economie politique.