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des lois. Cette divergence de sentimens et d’opinions n’est sans doute pas un effet sans cause; je m’étais promis depuis longtemps d’en rechercher l’explication. Il aurait fallu pour cela remonter au principe générateur de l’économie politique, dire où elle va, par quels chemins et comment elle s’est parfois fourvoyée, — montrer, aux lumières qu’elle projette sur l’ensemble de l’histoire, la nature des services qu’elle peut rendre et la cause des résistances qui ralentissent ses progrès. Malheureusement la tâche est difficile, et j’ai dû m’avouer que les travaux antérieurs ne fournissaient pas encore tous les élémens d’une bonne solution.

Après avoir lu et étudié un nouveau traité dont je vais rendre compte, la tentative devant laquelle j’avais reculé m’a semblé plus facile; c’est un devoir pour moi de rendre ce témoignage à M. Courcelle-Seneuil. Son livre n’est pas, à proprement parler, une philosophie de la science. Appelé par le gouvernement du Chili pour professer l’économie politique dans ce pays, c’est le résumé de son enseignement qu’il publie aujourd’hui; mais la méthode rationnelle adoptée par l’auteur, la liaison solide de ses argumens, la nouveauté de plusieurs démonstrations, font sortir de son œuvre une synthèse très satisfaisante. Il y a là évidemment des élémens progressifs, puisque j’y ai trouvé plus de secours qu’ailleurs pour résumer philosophiquement la pensée de l’économie politique. À ce titre, le livre de M. Courcelle-Seneuil mérite d’être analysé attentivement.


I.

On a écrit et disserté de tout temps sur l’administration des peuples; cependant l’économie politique n’a existé à l’état de science que du jour où il a été dit que la création des richesses est un de ces phénomènes naturels auxquels président des lois invariables, et que les nations prospèrent ou s’appauvrissent fatalement, selon qu’elles se rapprochent ou s’éloignent de ces lois. Il n’y a pas plus d’un siècle que cette affirmation est partie d’un groupe de penseurs inspirés par le docteur Quesnay. Frappés par ce trait de génie, des esprits vigilans et sagaces se mirent à la tâche en divers pays, et on n’a pas tardé à dégager un bon nombre de faits et d’observations au moyen desquels on a essayé de constituer un corps de doctrine.

Il était impossible dans l’origine qu’un pareil travail se fît avec une complète indépendance d’esprit. Le désir de porter remède aux abus qu’on observe est si naturel que, même en faisant de la science pure, chacun fut influencé à son insu par les besoins de son pays et de son époque. En France, les préoccupations dominantes avant 1789 se rapportaient aux progrès de l’agriculture, gênée surtout