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Iles-Ioniennes, et que j’y introduis deux degrés, le premier qui est la revendication de l’autonomie de l’état européen reconnu par le traité du 5 novembre 1815 sous le titre des états unis des Iles-Ioniennes, le second qui est l’abolition du protectorat anglais. Les Ioniens me semblent avoir franchi le premier degré sans s’y arrêter, et les Anglais ne me semblent pas avoir beaucoup regretté cette précipitation. Les Ioniens disent : « Nous voulons l’abolition du protectorat anglais et l’annexion au royaume de Grèce; nous voulons cela, et point autre chose. Jusqu’à ce que nous l’obtenions, nous refuserons toutes les propositions que vous nous ferez. » C’est ainsi qu’ils ont refusé les propositions de M. Gladstone. L’Angleterre répond : « Le protectorat ne sera point aboli, et si vous refusez obstinément de délibérer sur les propositions que je vous fais, le haut-commissaire se passera de votre concours et administrera sans vous, sinon contre vous. »

Voilà où en est le débat aujourd’hui entre l’Angleterre et les Iles-Ioniennes, débat sans issue, si nous nous arrêtons aux faits tels qu’ils se présentent en ce moment. Si au contraire, laissant un instant de côté les faits et les difficultés, nous regardons aux doctrines, l’aspect change, et le débat devient intéressant et plein d’avenir. La doctrine qui est débattue en effet n’est rien moins que la doctrine de la nationalité, qui doit ébranler et renouveler l’Orient. Cette doctrine est proclamée avec persévérance par les actes du parlement ionien, peut-être même le parlement et la presse des Iles-Ioniennes ne se sont attachés à proclamer obstinément cette doctrine et à en demander l’application immédiate que pour témoigner qu’elle est l’instinct et le sentiment universel et incontestable de la race hellénique. De ce côté, la persévérance des Ioniens est une bonne politique, quoiqu’elle soit plus de l’avenir que du présent. En effet, loin de reculer, la doctrine de la nationalité fait chaque jour des progrès en Orient. Les dépêches de sir John Young l’admettent; le Quarterly Review de 1852 s’y rattache, comme à la règle nécessaire de l’avenir ; M. Gladstone ne la conteste pas. Que lui reste-t-il donc à trouver? L’à-propos et la pratique : l’à-propos, qui se compose de deux choses, du hasard propice des événemens, et du soin qu’il faut mettre à ne point se créer soi-même d’obstacles, à ne point bâtir de mur pour aller s’y heurter le front; la pratique, qui se compose aussi de deux choses : du temps d’abord, et de plus de l’habileté à marcher pas à pas, sans jamais perdre de vue le but, et sans vouloir non plus y atteindre du premier coup.


SAINT-MARC GIRARDIN.