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II.

Nous ne voulons dire qu’un mot sur la naissance des Iles-Ioniennes comme état européen. Sa naissance date de nos jours, et c’est en Orient le premier des états chrétiens appelés successivement, dans le passé, dans le présent et dans l’avenir, à remplacer l’empire ottoman : non que je veuille dire que les Iles-Ioniennes aient jamais fait partie de l’empire ottoman; elles faisaient partie des états de Venise, et c’est sur Venise qu’elles s’étaient appuyées pour résister aux Turcs. Venise, Gènes et Malte ont été au midi les boulevards de l’Europe contre les Turcs. Venise, il est vrai, à la fin du dernier siècle, n’avait plus la Morée ni les grandes îles de l’Archipel; mais comme la Turquie s’était affaiblie en même temps que Venise et Gênes, l’Europe, quand Venise, Gênes et Malte furent supprimées par les jeux de la guerre et les calculs de la diplomatie, n’eut point lieu de s’apercevoir, par ses dangers, de la chute de ses grands boulevards méridionaux. C’est une loi instinctive de la politique européenne de ne jamais abandonner complètement à des rivaux de race, de religion et de fortune, ce que j’appelle l’Orient européen, et l’Europe n’a jamais eu et ne peut jamais avoir d’ascendant en ce monde qu’à la condition d’avoir en sa possession les vieux domiciles de la civilisation, l’Egypte, la Syrie, l’Asie-Mineure, l’Archipel, la Grèce, la Macédoine, la Thrace. Il s’est donc trouvé qu’au commencement de notre siècle, au moment où l’Europe perdait ses postes avancés du côté de l’Orient, Venise, Malte et même la république de Raguse, de nouveaux états chrétiens ont commencé à naître en Orient : en 1800 les Iles-Ioniennes, en 1821 la Grèce, en 1829 la Valachie, la Moldavie et la Servie, reconnues déjà quasi-indépendantes par le traité d’Andrinople. Ces nouveaux états qui naissaient ainsi peu à peu en Orient avaient pour effet de rétablir l’équilibre entre l’Orient et l’Occident, puisque l’équilibre ne s’est jamais fait et ne peut jamais se faire qu’à la condition pour l’Occident d’avoir une partie de l’Orient entre ses mains.

On sait comment les vicissitudes de la guerre créèrent, comme par hasard, les Iles-Ioniennes. Après la destruction de Venise, ce qui de la part de la France ne fut pas seulement un crime, mais une faute en Italie, les troupes françaises en 1797 occupèrent les Iles-Ioniennes. En 1799, les Russes et les Turcs remplacèrent les Français; une lettre du patriarche grec de Constantinople avait engagé les habitans des îles à concourir par leurs efforts à l’expulsion des Français, leur promettant en retour qu’ils formeraient un état indépendant. La convention du 21 mars 1800 entre la Russie et la