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sans le penser, il l’avait dit au public par je ne sais quel calcul de charlatanisme.

Les dépêches de sir John Young n’ont pas seulement proclamé un changement possible de la politique de l’Angleterre en Orient et le droit des nationalités, elles ont aussi appelé l’attention sur les Iles-Ioniennes. C’était jusque-là une question que la discussion n’osait guère traiter, et je dois dire franchement pourquoi. Personne n’aime à se faire de querelle avec l’Angleterre, ni les rois ni les journalistes. Le roi Louis-Philippe s’est brouillé avec l’Angleterre à la fin de son règne au sujet des mariages espagnols; il avait raison, et l’Angleterre avait tort : les lettres publiées par la Revue rétrospective l’ont bien prouvé. Il n’en est pas moins arrivé que sa chute a suivi de près sa brouillerie avec l’Angleterre, et notez que je ne veux pas dire le moins du monde que l’Angleterre ait contribué à la révolution de février 1848 : ce serait donner une cause à la révolution de février; elle n’en a pas plus de ce côté-là que de tous les autres. Il n’en est pas moins vrai pourtant qu’il s’est fait une sorte de superstition sur ce point, comme si tout prince qui vient à se brouiller avec l’Angleterre ne devait pas régner longtemps. Cette superstition atteint aussi les journalistes, les gens les moins superstitieux de la terre. Ils ne craignent pas d’être détrônés, mais ils se disent tout bas que la presse anglaise est le plus grand rempart de la liberté dans le monde, que personne, si obscur qu’il soit, ne peut savoir s’il ne viendra pas un moment où il lui faudra se retirer derrière ce rempart, et voilà pourquoi, toutes les fois que la question des Iles-Ioniennes arrivait à l’ordre du jour, elle n’était traitée, même dans la presse, qu’avec toute sorte de ménagemens et de brièveté. Tout le monde savait bien que l’Angleterre n’avait sur les Iles-Ioniennes qu’un simple droit de protectorat, et non de souveraineté; tout le monde savait bien que depuis qu’il y avait en Orient une Grèce indépendante et libre, les Iles-Ioniennes pensaient que c’était à cette Grèce indépendante qu’elles devaient être réunies, en vertu du principe de la nationalité. Tout cela se savait et même se disait dans la presse continentale, mais sans vivacité et sans persévérance. On pensait sans doute que, pour avoir tout leur effet, ces incontestables vérités devaient d’abord être dites par l’Angleterre. C’était à l’Angleterre qu’il seyait d’ouvrir la discussion sur les Iles-Ioniennes. Elle l’a fait par la publication plus ou moins indiscrète des dépêches de sir John Young, et dès ce moment tout le monde est à son aise pour traiter cette question, parce que personne, en la traitant, n’a plus l’air d’être un ennemi de l’Angleterre.

Examinons donc quel est, aux termes du traité de Paris du 5 novembre 1815, le droit que l’Angleterre exerce sur les Iles-Ioniennes.