Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent être honorablement accordées qu’après des batailles. Le problème se resserre et la solution se laisse voir. Il n’y a plus à considérer alors que jusqu’à quel point il est possible de rendre indépendante de fait la portion de l’Italie qui l’est déjà en vertu des traités, et à commencer, en mettant fin à l’influence abusive et exclusive d’une puissance, une ère d’améliorations et de réformes intérieures au sein des gouvernemens et des populations de la péninsule.

À première vue, il est impossible que la guerre sorte d’une négociation ainsi limitée, si des deux côtés l’on veut sérieusement la paix, c’est-à-dire si l’on s’applique avec énergie à contenir dans les faits les élémens de trouble qui pourraient, par des explosions accidentelles, faire avorter les efforts de la diplomatie. Une pareille négociation mettrait en effet en présence les dissidences qui sont l’origine de la crise actuelle ; elle instruirait le procès, et les deux parties seraient entendues ; elle forcerait les antagonistes à s’expliquer avec précision et à gagner leur cause par la bonté des argumens et la modération sincère des prétentions. La transaction, on peut le dire, jaillirait toute seule de la conscience de l’Europe, et les puissances adverses ne feraient que s’honorer en y adhérant. Demander donc si une telle négociation peut, une fois entamée, aboutir à la guerre, c’est demander simplement si, parmi les puissances dont les prétentions se combattent aujourd’hui, il en est qui par système peuvent préférer la guerre à la paix ! Nous ne rechercherons point si c’est le cas pour l’Autriche, car la perspective d’une guerre contre elle nous effraierait peu, lorsqu’elle se serait montrée intraitable ; mais la chose vaut la peine d’être brièvement examinée pour la France et pour l’Italie.

Nous sommes convaincus à l’égard de la France de deux choses : premièrement, qu’elle est en mesure autant que jamais de faire la guerre avec une redoutable supériorité, si elle est provoquée dans son honneur et menacée dans son droit ; secondement, qu’il n’y a point chez elle de parti de la guerre. Vainement nous dit-on que, parmi quelques officiers d’élite, le sentiment de notre supériorité militaire excite une tentation bien vive d’éprouver cette supériorité au profit de notre puissance et de notre gloire. Nous serions fâchés qu’un tel sentiment ne régnât point dans nos brillans états-majors. Cette fierté et cette émulation du métier, cette intelligence noblement passionnée des avantages que nous avons sur nos rivaux, ce feu sacré toujours brûlant, sont la condition même de la supériorité militaire qui fait notre sécurité et notre orgueil ; mais la passion même intelligente du métier ne peut être assimilée à l’esprit politique, et ce sont les raisons politiques, et non les tentations et les ambitions professionnelles, qui doivent décider de la paix ou de la guerre. Il ne serait pas plus prudent que légitime de se prononcer arbitrairement pour la guerre, parce que la France a la meilleure armée de l’Europe, parce que ses soldats, élevés à la sévère et féconde école de l’Afrique, ont fait de si glorieuses preuves sous les murs de Sébastopol, parce que nos armes de précision nous donneraient un avantage irrésistible sur un ennemi qu’on ne suppose point aussi bien fourni que nous en fusils et en canons rayés, parce que nous avons de jeunes généraux pleins d’esprit et de vaillance, et qui ont donné leur mesure devant les armées russes et dans