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la discipline obéissante avec laquelle le parti du mouvement suit à Rome, dans les duchés, en Lombardie, l’impulsion de Turin : nous espérons fermement que le Piémont saura se servir de l’autorité latente qu’il a su prendre sur le parti libéral pour maintenir l’ordre, et ne pas laisser compromettre par des explosions violentes l’action de la diplomatie. Nous voyons même sous ce rapport un motif de confiance dans la promptitude avec laquelle le gouvernement piémontais a prorogé les chambres ; il a voulu évidemment prévenir des interpellations intempestives et téméraires. Quoi qu’il en soit, il y a dans la situation un contraste qui doit tenir en éveil tous ceux qui peuvent quelque chose sur le cours des événemens. Les raisons d’espérer et de craindre se présentent à la fois avec un redoublement de force. Des négociations sont presque sûres, et des accidens violens sont possibles. Le dilemme de la paix ou de la guerre se concentre dans le même instant ; nous sommes à l’intersection des deux voies. N’est-ce pas, nous le répétons, le moment pour la raison de prendre une résolution décisive, et pour l’action de se porter avec énergie du côté où la raison l’appelle ?

Nous ne pouvons que présumer le point sur lequel les négociations seront dirigées. Il s’agit évidemment de soumettre à une calme révision, en présence de l’Europe, les traités particuliers qui permettent à l’Autriche d’intervenir militairement en faveur des gouvernemens établis dans les états de l’Italie centrale. Il nous paraît probable en effet que le cabinet de Vienne aura montré à lord Cowley, à l’endroit de ces traités, des dispositions plus conciliantes que celles dont témoignait la dépêche de M. de Buol au comte Appony qui a été récemment publiée. Cette dépêche remarquable par son argumentation savante est l’expression logique d’un principe politique répudié par la moitié au moins de l’Europe, le principe de la légitimité. Ce principe personnifie dans les maisons régnantes la souveraineté, et ne tient pas compte des droits des populations que ces maisons gouvernent ; s’il était admis universellement, l’argumentation de M. de Buol serait inattaquable : la liberté des alliances et le droit de contracter tels traités qu’il lui plaît étant une prérogative essentielle de la souveraineté, il est aisé de faire découler de cette prérogative la faculté pour un souverain de stipuler pour lui le concours d’une puissance étrangère dans l’administration intérieure de ses états. La stipulation a beau être humiliante, la souveraineté a tous les droits, même celui de n’être point fière. Il y a vraiment plus de pédanterie que de bon sens pratique à s’obstiner de notre temps dans une telle dialectique. Nous l’avons dit, la moitié de l’Europe, — l’Angleterre et la France par exemple, — n’admet point ce principe de la légitimité qui efface les droits des peuples. À la légitimité, qui justifie les interventions étrangères dans les affaires intérieures des états, le libéralisme oppose le principe de non-intervention, sauvegarde des droits des peuples, auxquels il permet de régler dans leur indépendance leurs différends avec leurs souverains. Dans la pratique, quelle serait la conséquence du principe légitimiste et du principe libéral soutenus des deux côtés avec énergie ? Si dans un état mal gouverné le peuple entre en lutte avec son souverain légitime, il peut arriver qu’un gouvernement de fait s’élève dans la lutte contre le gouvernement de droit. Si le gouvernement de droit a ses alliés, pourquoi le gouverne-