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vons en effet que le gouvernement anglais se montre satisfait de ce qu’il a obtenu à Vienne, et nous savons également que lord Cowley, en quittant l’Autriche, n’a pas laissé ignorer qu’il partait content et qu’il emportait de bons élémens pour la paix. Ainsi que nous le disions il y a quinze jours, l’objet de la mission de lord Cowley à Vienne ne pouvait être d’imposer ou d’obtenir une solution définitive et immédiate. Il allait préparer entre la France et l’Autriche le terrain d’une négociation honorable, chacune de ces puissances répugnant, dans l’état délicat de leurs rapports, à faire le premier pas. Tenant un fil à Paris, il est allé en saisir un autre à Vienne, et le gouvernement britannique va essayer, si l’on nous passe cette expression familière, d’en rapprocher et d’en nouer les deux bouts. Comment se fera la rencontre, et quel sera le nœud ? Nous l’apprendrons sans doute avant peu. Le point important, c’est de savoir que le gouvernement anglais et son ambassadeur, tous deux si favorables à la fois à la paix et à l’alliance française, pensent nous avoir ouvert une voie de négociation honorable ; mais en même temps que le terrain diplomatique est déblayé devant nous, il ne faut pas méconnaître que le terrain de l’action, celui sur lequel peuvent se produire en Italie des incidens révolutionnaires et des collisions militaires, devient de jour en jour plus glissant et plus périlleux. Personne en Europe n’a pu, depuis trois mois, se méprendre sur la véritable tendance de la politique piémontaise. M. de Cavour, au lieu de conserver simplement l’attitude défensive qu’il avait prise au congrès de Paris, semble avoir cru que l’alliance de la France lui permettait de prétendre à l’affranchissement immédiat de l’Italie par la guerre. Ces protestations qu’il articulait, avec tant d’autorité suivant nous, contre les occupations militaires faites par l’Autriche au-delà de ses frontières, et contre les traités par lesquels l’Autriche garantissait l’impunité aux mauvais gouvernemens de l’Italie centrale, n’ont plus été dès lors l’objet exclusif de sa politique. Le redressement des griefs était invoqué pour atteindre un autre but ; au lieu d’être la fin poursuivie, il devenait le moyen d’une rupture violente qui devait conduire à l’expulsion de l’Autriche de la Lombardie et à l’agrandissement du Piémont.

Nous voudrions nous tromper dans cette interprétation de la politique piémontaise : en tout cas, si elle est erronée, les débats diplomatiques qui vont s’ouvrir fourniront à M. de Cavour une occasion unique de la réfuter. Malheureusement ce que nous apprenons des dispositions de la cour de Turin nous porte à craindre que des négociations n’y soient vues d’un œil de dépit. La récente note du Moniteur qui a démenti le bruit des arméniens attribués à la France, qui nous a révélé que nous n’étions unis au Piémont que par un traité d’alliance défensive, et qui nous a informés que l’examen des questions pendantes est entré dans la voie diplomatique, semble avoir produit un douloureux effet sur les impatiences piémontaises. L’on prête à la cour de Turin des mouvemens d’irritation non dissimulée et la pensée de résolutions extrêmes qui seraient plus désespérées encore qu’héroïques. Nous ne voulons point attacher une foi absolue aux lettres écrites au milieu de l’effervescence qui règne à Turin. Nous croyons que M. de Cavour jugera plus froidement sa situation, et saura mesurer l’étendue de sa responsabilité visà-vis de l’Europe. Toutes les nouvelles d’Italie sont unanimes à reconnaître