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avec la circonspection et le courage, avec la lucidité et la fermeté que nous devrions apporter dans une délibération si vaste, c’est que la France ne possède point une liberté suffisante de la presse.

On pardonnera, nous l’espérons, à des écrivains de revendiquer avec modération l’honneur de leur drapeau et la dignité de leur profession en un moment où il leur est permis de montrer avec orgueil dans cette liberté si injustement calomniée la sauvegarde des plus grands intérêts du pays. Nous ne sommes pas seulement frappés des ivantages intérieurs qu’offrirait aujourd’hui une presse vraiment capable soit d’éclairer l’opinion, soit de donner un écho retentissant à ses vœux : elle rendrait d’infaillibles services à la bonne conduite des questions extérieures qui agitent l’Europe. La question italienne, nous avons eu plus d’une fois l’occasion de le rappeler, a été soulevée par le Piémont. Cette question, ce qui se passe chez nous depuis deux mois le prouve assez, a pris à l’improviste l’opinion française, et la surprise a été l’une des premières causes du peu de faveur que la politique piémontaise a trouvé en France. Une grande nation n’aime point à être compromise, sans être prévenue, dans les affaires d’une autre. Peut-être dans les mouvemens de sa politique M. de Cavour n’a-t-il pas assez tenu compte de l’opinion du grand public parmi nous. L’entreprise à laquelle le ministre de Victor-Emmanuel convie notre pays n’est pas de celles dont l’accomplissement heureux se puisse obtenir par le simple accord des cabinets. Quand une nation demande à une autre nation son concours contre une domination étrangère au nom des principes libéraux, l’accord mystérieux des gouvernemens ne suffit point : il faut entre les peuples une entière cordialité, une complète sympathie. Il faut qu’ils soient à l’unisson. En Piémont, dans un pays qui jouit de toutes les libertés de la tribune et de la presse, M. de Cavour a mis plusieurs années à mûrir ses plans et à les faire accepter par les populations qu’il gouverne. Comment lui, ministre d’un pays libre, accoutumé à agir sur l’opinion par la liberté, a-t-il pu croire que la France en un clin d’œil se monterait au niveau des ardeurs piémontaises pour une cause à laquelle elle n’est qu’indirectement intéressée, et qu’elle ne pourra servir qu’au prix d’incalculables sacrifices ? A-t-il pu méconnaître la différence d’institutions qui sépare le Piémont de la France ? Le Piémont a commencé par la liberté son audacieux travail d’indépendance italienne, et ce n’est que par la liberté que cette indépendance pourra être organisée le jour où elle sera conquise. Or que demande-t-il à la France ? Il lui demande de venir faire pour l’Italie la conquête de libertés qu’elle s’est résignée à abdiquer momentanément. Ce contraste, nous dirions presque cette anomalie qui a frappé tout le monde en France, a-t-il pu échapper à un esprit aussi pénétrant ? Nous avons peine à le croire. Si donc la question aujourd’hui engagée doit amener la France à prendre en main la cause du Piémont et de l’Italie, n’est-il pas évident que la principale condition de l’alliance fraternelle des deux peuples doit être le rapprochement de leurs institutions ? Tout progrès accompli en ce moment en France vers la liberté nous servirait plus utilement encore peut-être dans nos relations avec les autres peuples. Il faut à notre époque que, dans ces luttes qui mettent les états aux prises, les sentimens des nations interviennent dès l’origine par des manifestations spontanées : c’est peut-