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cette pairie anglaise, si résistante et si menacée en 1832, de tant de protestations et de, discours qui retentissaient alors, il n’y avait plus, l’avant-dernier été, que quatre représentans, vingt-cinq années après le grand procès! Mais l’esprit et la pratique de la constitution subsistent. Le droit de discussion et d’examen est partout en Angleterre, s’exerce et se renouvelle sans cesse. Que s’agirait-il d’ajouter à ce droit, appliqué récemment avec tant de force et d’habile modération dans les deux chambres? L’appel d’une masse illimitée d’électeurs, leur répartition rigoureuse en districts numériquement égaux, le scrutin secret, comme seule garantie de l’indépendance de ces hommes qu’on déclare si capables et si dignes des droits politiques! C’est là précisément ce que repoussait le bill de 1832, qu’on prétend compléter sans doute, et non détruire. Il voulait élever un plus grand nombre de sujets britanniques à l’exercice du droit réclamé pour eux. Il maintenait le vote public comme une tradition des libertés anglaises. Il ne se proposait pas de substituer à quelques bourgs électoraux presque sans habitans des foules sans responsabilité, des masses inertes et muettes, au risque d’être un jour aveugles et furieuses, ou de ne représenter qu’un simulacre de peuple dont la volonté n’est pas mieux éclairée qu’elle n’est sûrement constatée.

La réforme permanente et toujours active de l’Angleterre, c’est la puissance légale du parlement, le libre examen par le pays, l’action perpétuelle de la presse, la garantie individuelle du citoyen, et, on peut le remarquer, tel est l’effet de ces premiers et heureux gages du bon état social que rien des passions violentes qui réclamaient, il y a trente ans, une réforme électorale nécessaire sur quelques points ne se reproduit aujourd’hui. Il n’y a plus, dans des proportions notables du moins, de chartistes et de radicaux extrêmes voulant un parlement annuel ou triennal, nommé par le suffrage universel. L’esprit de liberté, éclairé par le raisonnement et l’exemple, n’est pas moins contraire à semblable progrès que l’esprit d’ordre et de gouvernement légal. L’esprit de liberté peut ajouter quelques catégories, étendre quelques nombres, supprimer quelques incohérences dans le bill de 1832 : il n’en peut pas changer le caractère intelligent; il ne peut pas le submerger sous le seul et grossier principe de la force numérique. Ce serait pour le principe de liberté se renoncer, s’abdiquer soi-même. Aussi rien de tel ne sortira du parlement, dont l’Europe suit aujourd’hui avec tant d’intérêt et attend chaque jour les libres débats sur les plus graves questions du monde politique. Les nouveaux amendemens au système électoral du royaume-uni viendront à leur tour sans que personne en soit impatient ni effrayé, et ils ne troubleront ni l’Angleterre, ni l’Europe.


VILLEMAIN.