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ment défectueux d’origine : on répondait de toutes parts qu’un nouveau service à rendre, qu’une dernière et bonne mesure de ce parlement, c’était de se réformer enfin, et de donner à la liberté pratique et au gouvernement du pays la base d’une représentation partout effective et sincère.

Il faut le dire encore, à l’appui de ce vœu si bien réfléchi apparaissaient de redoutables démonstrations, d’un caractère nouveau, même chez nos libres voisins. Ce n’étaient pas seulement d’innombrables pétitions de corporations et d’individus, de grandes assemblées populaires, c’étaient des meetings armés, où figuraient et manœuvraient, avant et après les discours des orateurs, plusieurs milliers de citoyens en appareil de guerre, et comme disposés à revendiquer un jour par la force ce qu’ils réclamaient encore au nom du droit, et par les formes de discussion et de liberté consacrées dans le pays.

L’exemple était terrible; la menace était trop forte, bien que contenue dans des limites qu’elle n’excéda point. L’épreuve avait besoin d’être abrégée, et lorsque lord Grey et lord John Russell, fidèles à leur vie passée et aux doctrines d’un grand parti politique, acceptèrent la mission de former un cabinet nouveau, d’accomplir la réforme électorale et de gouverner par elle, ils ne furent pas seulement des hommes de principes, conséquens avec eux-mêmes : ils furent de nobles et utiles citoyens; ils entrèrent avec courage dans une voie nouvelle qui, après tout, n’était pas excessive, puisqu’elle n’a pas, ce semble, compromis les destinées du pays, et qu’après vingt-huit ans d’épreuve on s’occupe de l’élargir encore, sauf à la rectifier sur quelques points.

Mais cela même explique la grande différence des deux époques, la profonde anomalie des deux situations, et partant des conséquences plus ou moins directes qu’elles entraînent. On n’a pas oublié, dans la diplomatie de l’Europe, la secousse de 1830 et les inquiétudes qui suivirent. On ferait un bien gros volume des prophéties menaçantes dont était accompagnée sur le continent, et même en Angleterre, l’inauguration d’une réforme qui augmentait de près d’un million la masse des électeurs du royaume-uni. Disons plus, les procédés par lesquels lutta et triompha cette réforme si combattue n’avaient pas été toujours, même de la part du ministère, prudens et modérés. La question engagée, il voulait vaincre à tout prix. L’agitation, même matérielle, à l’appui de son bill électoral ne lui déplaisait pas, ou du moins n’était pas blâmée par lui, et un illustre lettré, alors membre de la chambre des communes et du cabinet, n’hésitait pas à dire que la liberté de l’agitation était à la liberté de la presse ce que celle-ci avait été à l’emploi plus paisible et plus lent de l’écriture : proposition qui nous étonna, et nous pa-