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Ce fut un beau spectacle, pour les amis de l’humanité et de la liberté, de voir dans cette question les derniers efforts, la dernière résistance de l’ancien esprit conservateur, puis sa reddition loyale et sa retraite momentanée. L’homme dont l’Angleterre avait le droit d’être fière, celui qui lui avait donné sur le champ de bataille de l’Europe une fortune inespérée, était au pouvoir comme l’arc-boutant et la dernière colonne du système de résistance immuable. Il avait pour auxiliaire et pour appui le plus remarquable champion de cette résistance sous la forme civile, un conservateur d’une autre origine et d’une autre date, l’habile et opiniâtre Robert Peel. De pareils hommes, appelés par la couronne comme un renfort suprême, ne voulaient, on le croira facilement, ni céder le pouvoir, ni proposer eux-mêmes la réforme, qu’ils avaient combattue. Une crise formidable semblait donc imminente entre deux principes contraires, entre deux forces inégales de nombre, mais l’une armée de la possession, et l’autre croissante et irritée. Que serait-il arrivé, s’il y avait eu sur le trône l’obstination d’un Charles Ier et au pied du trône l’audace altière et la passion d’un Strafford?... Mais les temps et les hommes étaient autres. Sitôt que, dans la chambre des communes, telle qu’elle existait encore, avec ses précédens et les abus aggravés de son ancien mode, l’esprit de réforme retentissant au dehors eut pénétré par contre-coup, sitôt qu’une majorité de vingt-neuf voix eut marqué son blâme du ministère par l’ajournement du bill de liste civile proposé pour Guillaume IV, les deux puissans ministres qu’avait laissés son prédécesseur sentirent que le terme était venu, et le lendemain, les deux chambres, la chambre des pairs, encore si opposée à la réforme, et la chambre des communes, nommée par l’ancienne loi et les anciens abus, mais dominée par l’évidence et l’opinion, apprenaient, non sans trouble, la dissolution du ministère et l’appel de lord Grey pour former un cabinet nouveau.

C’est qu’en effet la crise politique et sociale était alors impérieuse, irrésistible, et qu’elle offrait, sous des formes menaçantes, ce qui n’existe pas aujourd’hui, même dans un faible degré, et ce que la parole fervente et colorée de M. Bright, ou les rudesses démagogiques de quelques radicaux, ne peuvent ni simuler, ni reproduire. L’Angleterre était réellement debout, impatiente, inquiète, offensée dans ses instincts de bon sens et de fierté. Le duc de Wellington, en déclarant le système de représentation acquis alors à l’Angleterre le plus satisfaisant qu’il fût possible d’atteindre, et la législature actuelle la meilleure des législatures, n’avait fait que précipiter un mouvement déjà si rapide. En vain quelques théoriciens du pouvoir rappelaient avec raison tout ce qu’avait eu de patriotique, de progressif et de libéral l’action du débat public dans ce parle-