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même tout à la fois par ses institutions et par les hommes qu’elles produisent et qu’elles renouvellent incessamment, l’Angleterre continua le terrible duel où elle était engagée au dehors, et où elle avait su se donner tant d’auxiliaires. Elle y trouvait, jusqu’au dénoûment et même après, une raison excellente de ne pas prendre une autre affaire sur ses bras, et ne pas s’imposer le fardeau d’une réforme intérieure, même la plus sensée. Elle voyait chaque jour que son parlement lui suffisait, même pour une bien rude et dispendieuse tâche, et elle n’était pas sûre de gagner au change. Ce qui manquait alors à la sincérité des élections anglaises, un autre principe plus vital encore, la liberté publique, y suppléait, et nulle forme électorale n’eût suppléé la liberté publique.

Les coalitions de 1814 et de 1815, la revendication violente du droit public européen, la charte donnée à la France, et les libertés qui devaient en être le passager, mais glorieux résultat, ne pouvaient manquer de réveiller partout bien des questions longtemps assoupies, sans être mortes, ni oubliées. Après la réduction des dépenses publiques, si lourdes pendant une si terrible guerre, la réforme électorale devint, avec l’émancipation des catholiques, le plus urgent problème de la monarchie constitutionnelle d’Angleterre. Et toutefois la solution réclamée à tant de titres, au nom des intérêts les plus divers, par les voix les plus autorisées et les plus énergiques, fut encore éludée, repoussée pendant seize années, tant les terribles échos de la révolution, de la propagande et de la conquête retentissaient encore, comme un motif ou un prétexte de défiance, contre l’extension théorique de la démocratie !

Probablement cette opiniâtre inquiétude de la tradition tory, même après sa victoire la plus populaire, se serait maintenue longtemps, et cette patience de l’esprit anglais à garder la forme qu’après tout il avait sentie puissante et tutélaire aurait duré bien des années encore, sans une catastrophe immense et voisine. La commotion soudaine et provoquée de 1830, cette foudroyante condamnation d’un coup d’état malheureux, mûrit et précipita pour l’Angleterre l’époque tant différée de sa réforme intérieure.

Après la charte française, ébranlée sans doute par sa rénovation même, mais en apparence raffermie sur des bases plus populaires, après notre abaissement du cens électoral et notre nouvelle organisation de royauté consentie et de puissance parlementaire considérablement augmentée, le gouvernement britannique, qui, de bonne heure et d’assez bonne grâce, adhérait à ce changement, pouvait difficilement se refuser lui-même, dans son intérieur, au progrès social de son peuple, à la suppression d’anciens abus si longtemps attaqués, et que rien n’excusait plus. Du moment qu’il gardait la paix, il devait faire la réforme.