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britannique, et suscitait les plus fortes et les plus prévoyantes objections. Ce n’était pas seulement une grande section des whigs avec Burke à sa tête, et tout le parti religieux et philanthrope de Wilberforce, qui se séparaient hautement d’un pareil système de démocratie sans mesure, comme d’un danger permanent pour la couronne l’l’église et la propriété. Fox lui-même cessait de réclamer une réforme électorale compromise par de tels exemples ; des whigs très avancés la déclaraient menaçante pour la liberté, favorable à la domination d’un maître et à l’inertie des classes éclairées, sous la pression des masses. Ils rappelaient que les anciennes républiques, les états libres de la Grèce et de l’Italie, avaient péri par l’extension du droit de suffrage aux prolétaires, aux étrangers, aux affranchis. Et, se reportant à ces éloquens axiomes que Montesquieu avait tirés des exemples de leur propre pays, ils répétaient avec lui : « Le ciel n’est pas plus éloigné de la terre que l’esprit de liberté ne l’est de l’esprit d’extrême égalité. »

Ainsi notre extrême égalité de 1791 et des années suivantes fut pour un temps la meilleure réponse de l’aristocratie anglaise à tout projet de réforme parlementaire, et presque un arguaient pour l’immutabilité même des abus. Tel riche brasseur autrefois démocrate, telle corporation de dissenters autrefois mécontente, signaient des pétitions et tenaient des assemblées contre tout plan de réforme et d’élections publiques en la forme adoptée dans un royaume voisin. Devant cette disposition spontanée d’un grand nombre d’esprits et ces inquiétudes de la majorité du pays, accrues encore par les excès de quelques démagogues anglais et par les précautions que leur opposait le pouvoir, M. Pitt n’eut pas de peine à tenir assoupies pendant les épreuves diverses de son long ministère toutes ces questions de réforme électorale et d’épuration parlementaire, qu’il avait autrefois suscitées lui-même.

Ce qui secondait à merveille sur ce point sa politique résistante et stationnaire, ce n’était pas seulement le cours précipité et la contagion électrique des événemens de France ; c’était aussi et surtout l’aspect du parlement britannique, la sage vigueur des résolutions, le ralliement des partis sous un intérêt de défense commune, le patriotisme enfin, jaloux, inquiet, excessif, mais fidèle encore à l’esprit de liberté. Devant un tel exemple, le même William Pitt, qui supposait autrefois le parlement trop défectueux dans son origine pour faire véritablement le bien du pays, le déclarait aujourd’hui indispensable dans sa forme actuelle pour tout défendre et tout sauver. Il jugeait avec raison en effet que l’indépendance de fortune, les traditions de races, l’orgueil du nom, l’ambition même, l’ardeur de parvenir, l’attachement au pouvoir, l’intérêt, le talent, toutes ces forces diverses, quand elles sont mises en jeu par la liberté du dé-