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d’Angoulême par une exhibition de vieux drapeaux, et de la gagner au libéralisme; mais en même temps il considérait comme une lâcheté une fuite sans résistance et sans combat.

C’est ainsi que Collegno se trouvait sur les bords de la Bidassoa au mois d’avril 1823, témoin et acteur dans cet engagement qui fut à un certain point de vue l’épisode le plus sérieux de l’expédition d’Espagne, et qui était dans tous les cas un combat bien inégal entre une armée régulière et une poignée de réfugiés de tous les pays, poussés, comme le disait Carrel, à se faire mitrailler encore une fois pour une cause qu’ils croyaient être celle du libéralisme européen. La veille encore, tous ces émigrés, dont le plus âgé n’avait pas trente ans, étaient réunis à Irun après leur repas, et ils dissertaient sur les théories platoniciennes, sur l’école spiritualiste et l’immortalité de l’âme. « Il se sera dit bien des folies, ajoute Collegno; mais c’étaient des folies généreuses, si elles n’étaient rien de plus. Beny disait particulièrement que comme preuve de l’immatérialité de l’âme, de la présence d’un souffle divin dans l’homme, il lui suffisait de cette rencontre de nous tous réunis ici pour soutenir un principe dont le triomphe ne devait nous procurer aucun avantage matériel d’aucune sorte, tandis que pour ce principe nous avions quitté notre patrie, et nous étions prêts à donner notre vie. » Le lendemain, quelques-uns de ceux qui parlaient ainsi étaient tués aux bords de la Bidassoa, beaucoup étaient blessés. La petite troupe des réfugiés était réduite à une soixantaine d’hommes. « Il était prouvé que l’armée française ne voulait pas nous reconnaître pour frères et amis, » dit Collegno, qui lui-même était resté intrépidement au milieu du feu jusqu’au bout, à côté du colonel Fabvier. Tout était fini par une effusion de sang inutile. Et maintenant voulez-vous voir un petit épilogue de ce drame retracé avec une certaine amertume ironique par l’émigré piémontais : « Ce matin, écrit-il de La Corogne peu de jours après, on célébrait une messe pour nos morts de la Bidassoa. Les autorités et le public avaient été invités; mais les dames ici, à ce qu’il semble, n’aiment les étrangers que vivans : les hommes ne les aiment ni vivans ni morts. Aux obsèques de nos pauvres compagnons il n’y avait que ceux qui les avaient vus mourir. » Et le jeune émigré piémontais se consolait un peu en allant s’asseoir à l’entrée du port de La Corogne, sur les dernières marches de la tour d’Hercule, contemplant sans se lasser l’Océan, dont les flots venaient mourir à ses pieds.

C’était une première expérience pour un proscrit tel que M. de Collegno, ce n’était pas la dernière. Il ne fut pas. plus heureux en Grèce; il y trouva même une amertume de plus. Santa-Rosa, avec qui il était lié d’une intime et sérieuse amitié, fortifiée par le malheur, n’avait pas voulu aller en Espagne, où il ne voyait rien de