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interrogés dans leurs rapports avec l’état des opinions au-delà des Alpes, eurent un effet singulier : le sentiment italien, qu’on s’était efforcé de soulever contre Napoléon, survivait tout entier et enflammait les âmes; il se répandait dans la jeunesse, et en s’alliant à l’esprit libéral il allait devenir le mobile de la révolution piémontaise de 1821. De toutes les révolutions de ce temps, il n’en est pas peut-être qui ait eu un caractère moins révolutionnaire. La constitution espagnole qu’on lui donna pour drapeau n’était que l’expression bien infidèle de la pensée de ce mouvement, qui était avant tout une insurrection de nationalité servie par des instincts libéraux.

Qui faisait cette révolution? C’étaient des militaires de grande naissance: le marquis de Saint-Marsan était colonel des dragons de la reine et fils du ministre des affaires étrangères; le comte de Santa-Rosa, le plus actif promoteur de l’entreprise, était major d’infanterie et sous-adjudant-général; le comte Lisio était capitaine de chevau-légers ; M. de Collegno était major d’artillerie et écuyer du prince de Carignan. Tous étaient dévoués au roi Victor-Emmanuel Ier et à la maison de Savoie. Pas un seul n’avait une autre pensée que celle d’arrêter un absolutisme qui compromettait le Piémont et de se tourner contre l’Autriche, qui commençait dès lors cette série d’empiétemens devenus aujourd’hui un des problèmes de la politique européenne. Et ces étranges conjurés avaient, on le sait, pour premier complice un prince du sang, Charles-Albert de Savoie-Carignan. M. Victor Cousin, dans son éloquente biographie de Santa-Rosa[1], raconte qu’après avoir lu le récit de la révolution piémontaise, il disait partout à ses amis : « Il y avait un homme à Turin. » Il y avait plus d’un homme à Turin; il y avait notamment Collegno, jeune homme d’un caractère sûr et d’une audace calme. M. de Collegno, qu’on eût fort surpris quelques années auparavant si on lui avait dit qu’il avait une autre patrie que la France, était désormais tout Italien par l’esprit et par le cœur. Comme écuyer de Charles-Albert, il avait le secret des entraînemens, des velléités et des perplexités de ce malheureux prince, qu’il s’efforçait d’entretenir dans ses aspirations patriotiques.

Ce mouvement dura trente jours, et au réveil de ce songe de quelques esprits généreux, que restait-il? Douze mille Autrichiens campaient dans les villes et les places fortes du Piémont. Le roi Charles-Félix revenait à Turin plus absolu que jamais. Le prince de Carignan était à demi banni et menacé par l’Autriche dans ses droits à la couronne. Les autres conjurés, Santa-Rosa, Collegno, Saint-Marsan, Lisio, étaient condamnés à mort; ils étaient déjà partis pour l’exil, en expiation d’un rêve de patriotisme prématuré. La destinée

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1840.