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mais que le poète décrit avec une réserve pleine de goût. Anitza, qui exerce la même profession à Focsani, a sur la frontière, » et qui est moins idéalisée, est probablement plus conforme à la réalité. Sans doute les poètes roumains, aussi portés à l’ironie que les maîtres de la « gaie science, » les troubadours de la France méridionale, n’épargnent point aux vierges du Danube et des Karpathes le reproche d’inconstance. Le Paunasul codrilor (paon des forêts) nous parle d’une « jeune fille blonde aux cheveux dorés, » qui, aimée d’un « brave à la figure jeune et fière, » l’abandonne à la suite d’une lutte avec « le paon des forêts, le brave des braves, » et s’éloigne avec le vainqueur dans la solitude des bois. Mais les femmes seules se laissent-elles éblouir par le succès? Les hommes ne sont-ils pas aussi disposés qu’elles à trouver légitime tout ce qui réussit, et à prodiguer les noms les plus beaux aux triomphes de la ruse et de la violence? Il est certaines circonstances d’ailleurs où les femmes roumaines ont lutté de courage avec les soldats d’Etienne et de Michel. Dans Chalga, la vieille grand’mère a été avertie par les sons du bouchoum du danger que courent les troupeaux de la famille, enlevés par les haïdouks :


« Holà, les enfans ! holà, les serviteurs ! Alerte ! cria-t-elle, arrachez-vous aux douceurs du sommeil, et préparez vite un cheval; mettez-lui une selle d’homme, car je veux le monter en brave.

« Elle dit, sauta à cheval, et se dirigea rapidement vers le Danube, sa bouche jetait de longs cris de guerre, et sa main brandissait un boutdougan[1] formidable.

« Les haïdouks l’entendirent venir de loin, et prirent soudain la fuite; il leur semblait n’avoir pas assez d’espace devant eux... »


Une autre ballade, Soarele si Luna, peint avec exactitude la splendeur qui environnait les femmes roumaines dans les hautes conditions sociales. Lorsque le Soleil ordonne les apprêts de la noce, il orne le front d’Hélène « avec les fils d’or des fiancées; » il place sur sa tête « une couronne royale; » il la revêt d’une « robe diaphane brodée de perles fines. » L’auteur de Serb Sarac ne craint pas d’affirmer que les noces des hauts seigneurs et des braves guerriers doivent durer un mois. La ballade de Bogdan nous parle de beaux présens de noce et de fêtes splendides célébrées à l’occasion de son mariage. Sans être aussi magnifiques, les noces de notre temps ont conservé, même parmi les paysans, un caractère vraiment poétique, et il n’est pas difficile d’y retrouver plus d’un usage de la ville éternelle.

Les chants populaires qu’on vient d’analyser constatent donc avec

  1. Massue en fer ou masse d’armes.