Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rent, — les pins se balancent, — les feuilles murmurent, — les étoiles brillent — et arrêtent leur course.»


Comme toutes les nations néo-latines, sans avoir des instincts religieux bien décidés, la nation roumaine tient pourtant en général à ses traditions plus ou moins mythologiques. La majorité du peuple, qui est restée aussi illettrée que dans les autres pays latins, conserve précieusement la foi aux vieilles légendes transmises par les ancêtres. La plupart de ces légendes sont essentiellement roumaines; d’autres, comme la croyance aux vampires, viennent des nations voisines. La peste, « vieille édentée, bête venimeuse, » est, cela se comprend, plus détestée par le paysan roumain que les plus méchantes fées. Personnifiée dans les chants grecs, elle a sa place dans le panthéon hindou à côté des autres créations du génie chimérique de l’Inde. Divinisé aux bords du Gange comme une puissance malfaisante, le choléra est dans les légendes roumaines une femme âgée et hideuse, « ayant la peau collée sur les os, et portant des serpens entrelacés dans ses cheveux en désordre. » L’horrible apparition marche avec la rapidité de la foudre, l’herbe se flétrit sous ses pas, les hommes tombent morts à sa vue, et les plantes épineuses poussent sur ses traces. Elle possède « les armes de l’enfer, » trois faux invisibles qui fauchent les hommes «par centaines et milliers. » Elle a pour cheval le coursier de Satan, qui ne s’arrête jamais dans son vol et qui jamais ne se fatigue. Lorsqu’elle entoure de ses bras décharnés le corps d’un mortel, lorsqu’elle colle ses lèvres livides sur ses lèvres, elle aspire ses jours dans un baiser et disparaît en ricanant. On reconnaît dans cette image l’idée favorite des Roumains, qui considèrent la mort comme « la fiancée du monde. » Les expressions métaphoriques sont dans le génie des Latins orientaux, qui disent d’un homme qui s’irrite : « Il devient Danube, » et d’une belle personne, qu’elle est « un fragment du soleil. »

Les loups-garous, effroi des paysans français, ne sont pas moins, redoutés en Roumanie. Il y a d’autres esprits malfaisans, les stafii, qui s’établissent dans les ruines. On est obligé d’aller les servir dans leur retraite avec une ponctualité fort gênante. Malheur à celui qui néglige ces dangereux voisins et qui oublie de leur porter le samedi soir l’eau nécessaire à leurs ablutions! Les strigoï (vampires), dont il est question dans la ballade de Kira, sont encore plus à craindre. Le bénédictin dom Calmet a montré, dans un curieux ouvrage[1] où la science s’allie à la crédulité, que cette superstition est répandue dans toute l’Europe orientale, aussi bien chez les Serbes catholiques et chez les Magyars que parmi les Hel-

  1. Traité de l’apparition des esprits, vampires, etc.