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d’œuvre de la poésie roumaine, un bel exemple de la tendresse d’un fils pour sa mère et un tableau frappant des angoisses maternelles : — Une petite brebis de Birsa[1] avertit un berger des plaines de la Moldava que ses deux compagnons, un Hongrois et un Vrantchien, ont formé le projet de le tuer. Le berger donne ses instructions à « la gentille brebis : »


« Si tu apercevais jamais, si tu rencontrais une pauvre vieille mère à la ceinture de laine, versant des larmes et courant à travers champs, et demandant et disant à tous :

« Qui de vous a connu, qui a vu un jeune et beau berger, dont la taille svelte passerait par une bague? Il a le visage blanc comme l’écume du lait; sa moustache est pareille à l’épi des blés ; ses cheveux sont comme la plume du corbeau, et ses yeux comme la mûre des champs;

« Alors, ma petite brebis, prends pitié de sa douleur et dis-lui simplement que j’ai épousé la fille d’un roi (la mort) dans une contrée belle comme l’entrée du paradis. »


Cette charmante ballade révèle chez le peuple roumain une sensibilité profonde qui ne s’épuise pas dans les manifestations impétueuses des passions ou dans les affections de famille. Pour les Latins du Danube, l’hospitalité s’exerce aussi bien envers les animaux qu’envers les hommes. La cigogne qui s’est perchée sur le toit du paysan, l’hirondelle qui a construit son nid à l’abri de sa fenêtre, le serpent qui vient se réchauffer à son foyer (serpe di casa), deviennent des êtres sacrés. Accessibles comme tous les Latins aux émotions qui agissent sur leur sensibilité, les Roumains ne seraient pas de véritables fils de l’Italie, s’ils ne se rendaient point compte du pouvoir de la musique. Il est impossible d’en exprimer la puissance avec plus d’enthousiasme que leurs poètes populaires. Dans Miorita, le berger recommande à la petite brebis de placer au chevet de sa tombe « une petite flûte de hêtre aux accens d’amour, une petite flûte de sureau aux notes passionnées, et quand le vent souillera à travers les tuyaux, il en tirera des sons plaintifs, et soudain mes brebis se rassembleront autour de ma tombe et pleureront avec des larmes de sang. » Le chantre de Mihou s’exprime avec plus d’énergie encore, puisque les astres eux-mêmes subissent l’influence de l’harmonie :


« Et voilà, voilà — que Mihou soudain — commence en ce lieu — à dire avec feu, — commence doucement — à dire avec âme — un chant émouvant, — de telle beauté, — que les monts en résonnent, — les aigles accou-

  1.  ; Village de Transylvanie. On nomme « brebis de Birsa » celle qui marche en tête du troupeau. Voilà pourquoi elle joue dans la ballade le premier rôle.