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et chaque courroie un para. » Le cheval qu’il monte est « magnifique. » C’est un cheval du Boudjiak (Bessarabie), et quand ce « brave rejeton des zméi hennit, la ville des sultans en retentit tout entière. » La nièce du padishah, « fille du khan des Tatares, » entend derrière une fenêtre grillée du séraï la voix du Serbe, et elle lui dit :


« Enfant de Serbe pauvre, tu es beau et tu me plais. Approche de la fenêtre ; je veux te donner de ma main autant d’uzluks[1] qu’il t’en faudra pour soigner comme il faut ton cheval et le ferrer avec des fers en argent, propices pour la course, car sais-tu? frère, chez nous c’est aujourd’hui mercredi et demain jeudi. Demain les Osmanlis doivent se rendre à la plaine de Haïdar-Pacha pour lutter ensemble à la bague, et le khan mon père a résolu d’accorder ma main au vainqueur. »


Le jeudi, les Ottomans arrivent deux à deux à l’endroit désigné pour la lutte. Le sultan à cheval y préside à l’abri d’une tente verte et en caressant sa barbe noire. Les coursiers s’agitent comme les « ailes d’un faucon royal, d Bientôt deux cavaliers devancent tous leurs rivaux. Le premier est un « nègre aux lèvres épaisses et à la tête couverte d’écaillés de poisson; » le second est le pauvre Serbe sur son cheval bai du Boudjiak. En vain le nègre a-t-il recours à la ruse pour conserver son avantage : le Serbe, indigné de sa fourberie, l’assomme de « sa main puissante,» enlève la bague et la porte au sultan.

Pour résumer tout ce que j’ai dit de l’influence exercée par l’amour sur les populations roumaines, je ne saurais mieux faire que de citer l’énergique conclusion du Voile et l’Anneau. Un fils de roi avait pris pour compagne une « gentille Roumaine, » une simple paysanne. Le roi, indigné de cette mésalliance, fit noyer la jeune fille dans un étang. Lorsque le prince, « beau comme le sapin des forêts au sommet des montagnes, » apprit cette funeste nouvelle, il envoya son cheval à son père et se précipita dans l’étang, « où l’on trouva les deux enfans couchés sur le sable» et les bras entrelacés. Le roi leur ayant fait faire de magnifiques funérailles, du tombeau du prince sortit un sapin et du tombeau de l’épouse surgit un cep de vigne, dont les rameaux flexibles grimpèrent le long des murs de l’église pour aller, le même jour, entourer les branches du sapin. « Dieu! seigneur Dieu! ajoute le poète, frappe de ta foudre vengeresse quiconque brise les liens qui unissent ensemble deux jeunes cœurs.»

L’amour maternel et l’amour filial sont exprimés d’une manière moins pathétique dans les chants des Roumains que dans ceux de la Grèce moderne. Cependant on trouve dans Miorita, un des chefs--

  1. Monnaie turque.