Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, ce serait peut-être, en montrant les vraies origines de la nationalité roumaine, éclairer un sujet dont l’à-propos devient de plus en plus manifeste. Parmi les Roumains, aux plus mauvais temps de leur histoire, l’énergique montagnard des Karpathes, en chantant les exploits des Mircéa, des Hunyad[1], des Etienne le Grand et des Michel le Brave, résistait aux tentatives les plus habiles de l’étranger. Profondément convaincu que la race à laquelle il appartient n’est inférieure à aucune autre, qu’il est même supérieur aux peuples voisins, les Autrichiens, les Russes et les Turcs, par l’illustration de ses origines et la haute antiquité de sa civilisation, le paysan répondait avec fierté à ceux qui lui parlaient de l’asservissement prochain de son pays : « Je suis sans peur, car je suis Roumain. » Fils de la cité éternelle, il continuait de croire, même sous le poids des invasions, que le Roumain ne périt pas, Romanu nu pere. En effet, l’histoire tout entière démontre que, si l’on peut vaincre les descendans de la vieille louve, on ne parvient jamais à les absorber[2]. Même au-delà du Danube, dans les vallées les plus reculées de la péninsule orientale, les pâtres roumains ne se confondent ni avec les Bulgares, ni avec les Turcs, ni avec les Grecs, et quand un de ces rudes pasteurs rencontre un Moldave ou un Valaque, il lui donne sans hésiter ce beau nom de frate (frère), qui est resté tellement latin, que la prononciation seule est une protestation en faveur de la nationalité roumaine.

Des tendances nationales aussi fortement prononcées ne pouvaient manquer de laisser leur trace dans les documens poétiques les plus anciens. Il faut étudier ces documens : les Slaves, les Latins, les Hellènes, comptent en effet parmi leurs poètes inconnus de véritables historiens. Ces historiens sont en partie connus de l’Europe savante. On sait que la Grèce moderne revit tout entière dans les chants publiés par M. Spiridion Zambélios. La belliqueuse race des Serbes peut être étudiée dans les poèmes vraiment épiques édités par MM. Vuk Stéphanovitch Karajich et Siméon Milutinovitch. Avant la publication entreprise par un poète moldave, M. Basile Alexandri, on eût en vain cherché en Roumanie un ouvrage analogue aux recueils de MM. Zambélios et Karajich. M. Alexandri consacra plusieurs années à recueillir les chants populaires de son pays, dont l’originalité et l’importance l’avaient depuis longtemps frappé. Il parcourut à pied les plaines fertiles et les vallons solitaires des principautés, consultant les vieillards des villages, visitant les localités

  1. M. Cogalnicoeno, Histoire de la Dacie, a mis hors de doute l’origine roumaine de ce héros.
  2. Nolumus magyarisari, disaient les Roumains de Transylvanie dans leur dernière lutte.