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tique en Allemagne, celle qui s’occupe seulement d’éclairer l’histoire du passé, et celle qui, portant plus haut son ambition, essaie de diriger l’esprit public. La première n’a pas cessé de produire des œuvres excellentes; la seconde, il faut bien le dire, présente un fâcheux spectacle. La seule chose qui fasse la dignité de la critique, la passion du beau, semble éteinte chez la plupart des juges littéraires. Ceux-ci jugent par métier, et comme ils croient que l’exactitude leur tiendra lieu de principes, ils dressent des catalogues où les œuvres d’élite et les productions vulgaires sont confondues pêle-mêle. Ceux-là, qui tiennent à se faire des amis, ont des sourires pour tout le monde : ils appliquent d’invariables formules de louange aux esprits les plus différens; dans le tableau qu’ils tracent de la société intellectuelle de leur pays, tous les écrivains ont même visage et même costume. En voici d’autres qui ont de la finesse, et qui, au besoin, ne manqueraient pas de franchise. — Pourquoi, se disent-ils, donner une opinion réfléchie sur des œuvres que le temps n’épargnera pas? Le public est fatigué de la poésie, et ce n’est pas nous qui réveillerons son attention. — Il y a eu un mot les critiques sans goût, les critiques sans courage, et ceux qui n’ont plus foi dans leur œuvre.

Goethe, pendant sa longue carrière, a eu plus d’une fois l’occasion de signaler dans la littérature de son pays une situation semblable à celle que nous venons de décrire; il la caractérise d’un mot et l’appelle le dilettantisme. Or, frappé de voir le dilettantisme se produire autour de lui sous maintes formes, il l’observe, il l’étudie, comme il étudiait toute chose, avec une impartialité magistrale. Qu’est-ce que le dilettantisme? D’où vient le mot italien dilettante? Pourquoi ne se trouve-t-il pas dans les anciens dictionnaires, par exemple dans le dictionnaire della Crusca? Quelle en est la signification exacte? A quels symptômes reconnaît-on cette façon de comprendre l’art? Quels en sont les traits distinctifs, les allures, les habitudes, les produits? Quels rapports et quelles différences entre le dilettante et l’artiste? Quels sont les caractères particuliers du dilettantisme dans la peinture, dans l’architecture, dans la musique, dans la poésie lyrique et dramatique, dans l’art du comédien et jusque dans celui de la danse? Le dilettantisme n’a-t-il pas rendu des services? Ne cause-t-il pas de grands dommages? Quels services? quels dommages? Et enfin après cette enquête si précise, après cette espèce d’histoire naturelle du dilettantisme, le grave maître conclut par ces paroles terribles : « Tous les dilettantes sont des plagiaires. Ils énervent, ils anéantissent tout ce qui est original, soit dans l’expression, soit dans la pensée; oui, ils l’énervent et l’anéantissent en le répétant, en l’imitant, en le faisant servir à raccommoder leurs guenilles. C’est ainsi que la langue se remplit peu à peu de phrases et