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tant, raconte ce qu’il a vu dans son pays. C’est une revue satirique de toute la littérature allemande contemporaine. Philosophes, historiens, poètes et romanciers,

Auteurs, commentateurs,
Rimeurs, compilateurs, chansonneurs, traducteurs,


chacun y est marqué d’un trait mordant. L’esprit ne manque pas dans ces pages légères. L’auteur, — M. Wolfgang Müller, assure-t-on, — imite habilement le style d’Henri Heine. C’est bien cette strophe de quatre vers, leste, fringante, avec une extrême simplicité de langage. Ce qu’on cherche en vain, c’est l’imagination de celui qui a composé Attla-Troll et Germania. Dans ses satires littéraires, Henri Heine est toujours poète; M. Wolfgang Müller croit qu’il suffit d’être méchant. Lorsque Schiller et Goethe perçaient de leurs flèches Nicolaï et ses disciples, ils faisaient ce que fit Boileau vers 1660; ils dispersaient les représentans de la routine et frayaient la route à un art original. Quel est l’idéal de M. Wolfgang Müller? Où sont les poètes auxquels il fraie la route? Comment enfin cette longue satire servira-t-elle la cause des lettres?

Imitation de la société poétique de Goettingue, imitation des Xénies de Schiller et de Goethe, toutes ces tentatives, si incomplètes qu’elles soient, indiquent bien le sentiment d’une situation mauvaise. Il suffirait sans doute d’un grand poète, d’une grande et riche imagination pour arracher l’esprit allemand à ses langueurs. Puisque ce poète ne paraît pas, c’est à la critique au moins de remplir son devoir avec courage. Quand je parle des langueurs de l’Allemagne, je ne veux pas dire que le talent y soit rare, je dis seulement que ce talent s’éparpille en petites choses, que les ressources littéraires du pays sont gaspillées, et qu’aucune inspiration commune ne soutient l’écrivain. Tandis que l’histoire, la théologie, la critique conquérante, en un mot la haute littérature d’université passionne encore les intelligences et suscite maintes écoles, la belle littérature, comme disent les Allemands, n’a plus qu’un public de hasard. Instruites par les universités, accoutumées aux œuvres de la science, les générations nouvelles sont de plus en plus exigeantes pour les ouvrages de l’esprit. Si vous ne vous efforcez de les satisfaire, on verra se former deux camps, la science d’une part, la littérature de l’autre : une science sublime, qui, n’étant plus tempérée par la pratique des lettres, ira se perdre dans les abstractions; une littérature frivole, qui, n’étant plus nourrie par la science, tombera dans la décrépitude. Entre la science et l’imagination, l’alliance est nécessaire, et c’est le devoir de la critique de rappeler sans cesse les esprits à l’observation de ces principes.

Ce devoir, la critique le remplit-elle? Il y a deux sortes de cri-