mère du duc Adalbert, pour venger son fils assassiné, ne perçait le cœur de l’évêque avec le fuseau de sa quenouille. La vénérable Baban, qui de sa tremblante main a frappé le monstre, fait ressortir elle-même ce contraste, où se trouve sans doute la moralité de la pièce. Décidément, ce ne sera pas M. Brachvogel qui régénérera la scène allemande : il faut d’autres quenouilles et d’autres fuseaux que ceux-là pour filer des jours de gloire au théâtre de Schiller et de Goethe.
Il y a toujours en Allemagne deux littératures dramatiques, comme il y a deux sortes de théâtres : d’un côté les théâtres de Berlin, de Vienne, de Munich, de Weimar, de Francfort, etc.; de l’autre un théâtre unique, mais immense, le théâtre des spectacles dans un fauteuil. Ce dernier est toujours le plus richement approvisionné. Les drames représentés sur la scène sont peu nombreux; les drames qu’on ne joue pas et qu’on ne lit guère sont innombrables. Cette persistance des écrivains, ces appels incessans au public, cette foi dans l’apparition prochaine d’un messie dramatique, foi naïve, entretenue par les théories de certains critiques, et qui a déjà suscité toute une légion de prétendans, ce sont là des traits que nous avons déjà signalés à plusieurs reprises dans la littérature de nos voisins. La situation n’a pas changé : même ardeur des poètes, même abondance de tragédies et de drames. Il est possible qu’il y ait dans tout cela des efforts heureux, des idées, de l’invention, du style; mais comment se reconnaître au milieu de cette cohue d’œuvres qui s’accumulent autour de nous et que l’épreuve de la scène n’a pas classées? J’ai lu non sans plaisir un drame historique sur Charles-Quint : l’auteur, M. Freese, a conçu son sujet avec force; le dernier acte surtout, qui explique philosophiquement les doutes, les angoisses morales de l’empereur au moment de son abdication, semble promettre un poète. Dans les Deux Cagliostro, drame en cinq actes de M. Robert Giseke[1], on retrouve un sujet qui a toujours attiré l’imagination allemande; Goethe l’a porté sur la scène, Schiller en a fait un roman; Carlyle, le disciple de Goethe et le biographe de Schiller, y a consacré des pages étincelantes. Ces souvenirs ont médiocrement inspiré M. Giseke, et ce drame qui devait peindre l’illuminisme de l’Allemagne à la veille de 89, ce drame où les rose-croix et les aventuriers, les mystiques et les charlatans, confrontés, mis aux prises, devaient représenter la fièvre des esprits en cette étrange période, ce drame enfin qui pouvait être plein de mouvement, plein d’idées, n’est qu’une œuvre sans âme et sans vie. On trouverait mieux, n’en doutons pas, en cherchant avec soin.
- ↑ Die beiden Cagliostro, Drama in fünf Acten, von Robert Giseke; Leipzig 1857.