Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque année pour la Virginie et l’Arkansas, combien d’intelligences- émigraient aussi, entraînées par les romanciers et les poètes! Aujourd’hui le désenchantement a commencé; l’expérience a dessillé bien des yeux. De sévères publicistes, M. Baumann, M. Franz Loher, M. Moritz Busch, tout récemment encore M. Julius Froebel, ont révélé d’étranges misères dans cet Eldorado. Voici un romancier qui vient compléter l’œuvre des publicistes. Le dernier prestige poétique des États-Unis, c’était la beauté des solitudes, la grandeur des forêts vierges, la lutte de l’homme contre la nature, l’exaltation des sentimens virils en présence de périls de toute sorte. Comme le squatter Nathan, le héros de Charles Sealsfield, est majestueux dans sa rudesse! M. d’Halfern, l’auteur du Squire[1], a vu les forêts vierges et la vie des hommes de l’ouest; il peint ce qu’il a vu : des aventuriers, des bandits, de lâches hypocrites, des crimes commis au grand soleil, de pauvres Indiens assassinés par les prétendus pionniers de la civilisation, et de temps à autre, seul correctif à ces infamies, la justice sommaire de la foule d’après la loi de Lynch. Si ces tableaux doivent arrêter ou détourner le torrent de l’émigration allemande, ni l’Allemagne ni l’Amérique ne s’en plaindront. Quant à la littérature, elle n’a presque rien à voir en des travaux de cette espèce. Le roman de M. d’Halfern est une œuvre sans art; la sincérité, voilà le mérite de ce livre, et le mérite serait bien plus grand, si l’auteur s’était mis dans le cas d’être plus sincère encore. Quand on a de telles révélations à faire, on n’écrit pas un roman, mais un récit de voyage.

Les romans des voyageurs nous ont conduit hors de l’Allemagne. Revenons à Berlin et à Vienne, et cherchons encore s’il n’y a pas quelque symptôme nouveau, quelque signe de rajeunissement à mettre en lumière. On a beaucoup parlé d’une œuvre mystérieusement publiée sous ce titre : Amour allemand. C’est un récit sans nom d’auteur, un récit très court, écrit avec soin, avec trop de soin peut-être, et un peu prétentieux dans sa simplicité[2]. Dans une des principautés de l’Allemagne, le fils d’un bourgeois de la ville devient le compagnon de jeux des enfans du prince, et bientôt le voilà qui se prend d’amour pour l’une des jeunes princesses. D’amour? Le mot ne convient guère : c’est une tendresse enfantine, mêlée de pieuses rêveries, d’extases naïves, et qui vous transporte par instans dans le monde des somnambules. Il y a là, l’auteur l’affirme, des souvenirs personnels. Que nous importe? S’il est permis à l’homme de raconter ses histoires d’enfant, il faut qu’il les ra-

  1. Der Squire. Ein Bild ans den Hinterwaeldern Nord-Amerikas, von A. von Halfern; 2 vol. Hambourg 1857.
  2. Deutsche Liebe. Aus den Papieren eines Fremdlings, Leipzig 1857.