l’appel : Suhm, Camas, Jordan, Keyserling, Manteuffel, combien s’en étaient allés pour ne plus reparaître! Des joyeux compagnons d’autrefois, des hôtes de Rheinsberg, deux seulement restaient encore, Knobelsdorff et Chasot. Et le roi, déjà fort mal depuis longtemps avec Knobelsdorff, allait voir sa brouille avec Chasot se changer en une rupture complète.
En quittant Berlin, le colonel aux dragons de Baireuth n’avait, quoi que Voltaire en dise, aucunement résolu d’abandonner le service prussien. Il se proposait tout simplement d’aller prendre l’air à Paris et revoir sa Normandie, se disant que pendant cette absence la mauvaise humeur de Frédéric aurait le temps de se dissiper, et qu’on n’en serait ensuite que meilleurs amis. Après quelques mois passés à Caen chez sa vieille mère, il revint à Paris, et ce fut là que l’idée le prit de rompre avec son ancien maître. Soit légèreté de caractère, soit lassitude ou rancune, il planta là le roi de Prusse, et avec si peu de façon que pour trouver le cas pendable il n’était en vérité pas besoin d’avoir l’humeur atrabilaire. Au lieu de s’adresser à Frédéric, dont il relevait après tout, ayant depuis vingt ans guerroyé à son service, Chasot estima plus convenable de régler directement la chose avec le roi de France. «Le roi de France crut pouvoir accorder lui-même la démission à un gentilhomme français qui avait servi avec honneur sa majesté prussienne. » On devine comment la nouvelle d’une pareille énormité fut reçue à Potsdam. Aux yeux de Frédéric, une telle violation du code militaire de ses états était un crime sans exemple. Son indignation ne se contenait pas. Les diverses pensions dont jouissait Chasot furent à l’instant supprimées, et le congé si incongrûment réclamé lui fut, par ordre exprès du roi, expédié sous forme de révocation. Là ne devait point s’en tenir la colère de Frédéric. Dans le manuscrit originaire de l’Histoire de mon temps, terminé par le roi en 1746, le nom de Chasot se trouvait cité à deux reprises : une fois à propos de l’escarmouche malheureuse de Marschendorf, où quatre-vingts hommes avaient péri, l’autre à l’occasion de la bataille de Hohenfriedberg et de cette fameuse charge des dragons de Baireuth, qui, comme on sait, décida du succès de la journée, a Un fait aussi rare, aussi glorieux, mérite d’être écrit en lettres d’or dans les fastes prussiens. Le général Schwerin, le major Chasot et beaucoup d’officiers s’y firent un nom immortel : » tel était le texte primitif, maintenu jusqu’en 1752. À cette époque, le roi raya de ce passage le nom de Chasot, trouvant sans doute qu’il y faisait longueur, et dans le remaniement général que Frédéric fit de son œuvre en 1775, cette omission fut observée. Quant à la rédaction du paragraphe concernant la malheureuse affaire de Marschendorf, inutile d’ajouter qu’elle n’a pas